THE DISCIPLE, good vibrations !
Parcours initiatique Méditation musicale
ShaltanyaTamhane
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Grâce de la lenteur.
Voici une oeuvre contemplative dans la droite ligne des plus exigeantes productions Netflix comme le sont Roma, The Irishman ou le sublime ovni de Charlie Kaufman Je veux juste en finir (à chroniquer). Un cinéma aux parti-pris assumés et aux démarches artistiques radicales, que ce soit dans leurs discours, leurs formes ou leurs rythmes.
À nous gaver comme nous le faisons au banquet des plateformes nous oublions que ces conditions devraient prévaloir à toute production ciné. Nous perdrions moins de temps à nous saouler de produits divertissants, efficaces mais désespérément inoffensifs et ne laissant aucune empreinte.
The Disciple m'a littéralement envoûté. Je reconnais qu'il faut être patient et en condition pour suivre le parcours de ce chanteur de Râga Indien. Récit d'une ascèse. Le difficile apprentissage d'un art musical séculaire ne souffrant aucune compromission et exigeant de son élève un engagement absolu.
Vous serez quelque-uns, j'en suis certain, à être touchés par cette quête de "vérité artistique" à une époque où l'exercice de l'art ne semble que diviser et disperser ce que nous avons de plus précieux : notre attention aux êtres et aux choses.
The Disciple exalte l'art de se rassembler intérieurement sans négliger d'évoquer les profonds sacrifices qu'exigent la pratique austère et rigoureuse d'un art des origines s'exprimant à mille lieues des clinquantes et étourdissantes chimères médiatiques. Le réalisateur, également scénariste et monteur de son film, nous invite ainsi à découvrir un forme "d'univers parallèle" situé à la frange du monde et des salles de spectacles officielles. Un univers d'initiés.
Le parcours de Sharad Nerulkar est un parcours solitaire, douloureux, éprouvant la patience et ne comblant que rarement l'appétit. Nombre de grands films ont ainsi évoqué l'âpreté de ce type de parcours, on pense aux récents Whiplash et Inside Llewyn Davis. Chemins de "vérité" qui se transforment parfois en chemin de croix, où le découragement et l'amertume terrassent l'esprit et où, trop souvent, la grâce et l'inspiration se dérobent.
Embrasser défaites, faillites et triomphes anonymes. Autant dire que réaliser un film sur un thème comme celui-ci est déjà le gage d'une admirable intégrité. On comprend que l'immense Alfonso Cuaron, ici producteur, ait pris sous son aile ce nouveau talent du cinéma indien.
Et le pari est gagné.
Entre sacrifices et tentations le parcours du Disciple est ici porté par un sens du cadre et du rythme digne des plus grands maîtres du septième art. Le fantôme de Satyajit Ray n'est jamais très loin. En travellings ou en plans fixes, les séquences, drapés dans la sublime photographie du jeune chef-opérateur polonais Michal Sobocinski, s'enchaînent le plus souvent en une seule prise.
Un rythme qui réclame un minimum d'engagement de notre part mais qui, petit à petit, nous fait entrer en hypnose et nous laisse percevoir jusqu'aux plus subtiles vibrations des Râgas du répertoire classique indien qui ponctuent le récit.
Les deux acteurs, maîtres et disciple étant eux-même chanteurs professionnels, les prestations saisies en un seul plan sont saisissantes. Des mélopées embrassant l'ensemble des sentiments humains jusqu'à la manière dont ils résonnent en nous au différents moments de la journée et de notre existence.
The Disciple est en cela une oeuvre résolument universelle aussi simple dans son déroulé qu'ambitieuse dans son intention. Traduire notre aspiration à l'accord parfait. Cette volonté de maîtrise et soif de perfection nous renvoyant sans cesse à notre fondamentale imperfection.
The Disciple rend hommage à l'effort premier.
À cet élan qui nous pousse à rester debout, grandir, à devenir meilleur ou à tenter de l'être. Des salons de musique où le jeune Sharad accompagne son maître Guruji à ses errances nocturnes en moto le long des artères désertées de Bombay la grâce du mouvement cinématographique épouse cette intention tout au long du récit. Une précision et une fluidité qui traduit cette recherche permanente d'absolu.
Marque d'engagement, la prestation habitée d'Aditya Modak, le disciple, qui n'a pas hésité à prendre près de vingt kilos en cours de tournage pour marquer le poids des années, le récit s'étalant sur près de quinze ans. Ses silences et la force de son regard disent tout de l'obsession comme de la solitude du personnage.
La mise en scène de ce jeune prodige qu'est Shaitanya Tamhane (The Disciple n'est que son second film!) capture le regard et nous ramène à l'essentiel grâce au choix courageux du point de vue unique. Une maîtrise admirable pour ce réalisateur signant ici une oeuvre somptueuse et mélancolique que l'on peut déjà, sans attendre le verdict du temps, qualifier de chef-d'oeuvre.
Francisco,