BEAU IS AFRAID, paranodyssée
Hallucinations & parano Coup de coeur 2023
Ari Aster
*****
Rhaaa... comme ça fait du bien d'embarquer là-dedans !
Une pure virée cauchemardesque immergeant les humbles spectateurs que nous sommes dans l'esprit d'un individu psychotique, parano et rongé de culpabilité sujet à de terrifiantes hallucinations.
Temporalité aléatoire, débordements oniriques, séquences animées. Tout est bien en place pour garantir le transfert de notre regard dans celui d'un esprit malade. Pour qui sait s'abandonner à une proposition artistique délibérément hors les clous.
Je ne peux, en effet, le conseiller qu'à celles et ceux qui aiment naviguer tout en ayant perdu les clés du récit.
Je tiens là une transition toute faite puisque c'est justement suite à un vol de clés que tout s'accélère et dérape dans la tête de Beau. Un névrosé bien flippé prédisposé au burn-out ultime. Hébétude, élocution à la peine, silhouette brisée, Joaquin Phoenix nous régale encore fois d'une de ces magistrales prestations de clown tragique dont il a le secret. Un rôle monstrueux qu'il assume avec un "talent fou".
Je me dois de vous avertir, ô lectrices et lecteurs bien aimés, que cette injection ciné est susceptible de provoquer quelques effets indésirables comme une certaine sensation de vertige et d'égarement en sortant de la salle après ces trois heures de grand huit émotionnel. Voir une solide crise d'angoisse chez les plus anxieux d'entre nous. Mais si vous avez la raison bien accrochée et l'esprit bien ouvert alors l'odyssée vaut le coup. Parce qu'après les fascinants autant que dérangeants Hérédité et Midsommar Ari Aster nous livre, pour moi, son chef-d'oeuvre.
Comme dans de nombreuses échappées aptes à convoquer une logique psychanalytique, logique à l'oeuvre dans les deux précédents films de ce génie du malaise, on comprend rapidement que l'âme de Beau est toute entière gangrénée par une mère envahissante et manipulatrice, disons "toxique" pour employer, dans son cas, un doux euphémisme.
Le long et chaotique "retour à la maison" de notre Ulysse névrosé se heurte à toutes les failles que cette relation a ouvertes dans l'esprit comme dans le corps de Beau.
Oppressé, agressé, blessé, rejoindre la réalité est un parcours du combattant pour cet homme dévasté par sa perception phobique de l'autre et de l'univers qui l'entoure.
Paranoïa aiguë, hallucinations, Beau doit affronter ses peurs au coeur de "sa forêt", espace-symbole de la mère primitive. Son existence, récit dont il est impossible de dénouer les fils du réel de ceux du fantasme, défile sur la scène d'un théâtre imaginaire. Rêves, souvenirs, fantasmes, visions et cauchemars se télescopent pour illustrer la quête du personnage qui, au final, n'est qu'une fuite éperdue. Réver sa vie pour ne plus la subir. La vaine échappatoire de l'art. Rien ne délivre du sentiment de culpabilité lorsqu'il infuse depuis le plus jeune âge, servie par une mère-ogre.
Visuellement, fort d'un budget de 35 millions de dollars (jolie somme pour un pur et dur exercice d'auteur, saluons bien bas le courage de la société de prod A24) cette course folle déroule un spectacle aussi glaçant et éprouvant que somptueux sur la forme.
Emballées par Pawel Pogorezlski, chef-op sur les trois films d'Aster, les images de Beau is Afraid s'imprimeront en vous pour un bon bout de temps.
Grâce à ce travail d'orfèvre, le réalisateur et scénariste signe là un cauchemar absolu mais de toute beauté. Le voici désormais classé comme le cinéaste le plus inclassable aujourd'hui sur la scène horrifique.
Encore plus radical que le talentueux Jordan Peele, même si Us tutoie pas mal l'ambition narrative de Beau, selon moi. Une qualité première mais quasi suicidaire sur le plan économique. Je doute que cet ovni remplisse les salles.
Qu'importe, ça y est il existe!
It's Alive !
Nul doute que ce parcours initiatique déviant et névrotique totalement "stupéfiant", osant tous les virages aussi bien visuels que sonores, obtiendra rapidement le label "culte". Il trônera fièrement aux côtés de chef-d'oeuvres signés des plus grands explorateurs de l'âme.
Convoquant aussi bien Le Magicien d'Oz que le Repulsion de Polanski Beau is Afraid nous invite a des noces macabres. Indigestes et assommantes pour certains, sans cesse surprenantes et passionnantes pour d'autres (La dernière partie du film met peut-être trop de mots sur ce que tout le voyage suggérait) accordons tout le monde sur le fait qu'il s'agit là d'un film absolument unique. Trip intime totalement déjanté, oeuvre flippante et rarement confortable mais vers laquelle je retournerai dès sa sortie sur galette.
Je suis heureux de ne pas avoir décliné l'invitation.
Ari Aster a signé là son Eraserhead.
Je viens d'assister à un beau mariage. Celui du Huit et demi de Fellini, du Miroir de Tarkovski ou du Persona de Bergman au Las Vegas Parano de Gilliam, au Lost Highway de lynch ou aux récents Birdman et Bardo d'Iñárritu. Un film-cerveau qui soigne le cinévore du torrent d'oeuvres prévisibles qui atrophient doucement notre imaginaire et nous rendent petit à petit inaptes à embrasser l'inconnu.
Une oeuvre comme celle-ci est salutaire. Elle nous rappelle combien Le coeur et l'esprit de l'homme recèlent encore bien des territoires vierges. Devenez comme Alice, laissez vous glisser au fond de ce terrier mental et grimper l'échelle jusqu'à l'obscur grenier de l'âme.
Francisco,
D'un génie à l'autre
2023
3h
Le Blu-ray Pareil. Une dinguerie
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