LE CRI DU CHAMEAU saison 1 épisode 10
Hello sadness,
vive le chauffage central !!!!
Là, c'est le moment où je me brosse les dents.
Le moment où j'essaye de me souvenir.
De trouver les bons mots...
... Pas un seul éclat de voix ne résonne, hormis le piétinement des semelles sur le bitume.
Masquant l'horizon derrière ces ombres mouvantes, les hautes colonnes de fumée vomies de la ville incendiée, déroulent leurs sinistres écharpes au dessus du crépuscule. La nuit descend sur la centaine d'hommes, femmes, enfants et vieillards s'enfuyant vers les profondeurs de la campagne. Avec la nuit, se réveille le froid mordant qui fige les visages et casse la marche. Il faut rentrer en soi et oublier les douleurs. Avancer. Avancer...
Je reconnais ce paysage. Dans moins d'un kilomètres s'ouvrira une large plaine. Il faudra traverser ces terres de cultures avant de rejoindre l'abri des bois. Mais plus rien ne flotte dans l'atmosphère. Le Monde est à terre. Tout s'est enfoui. Les champs ne respirent plus. La nuit descend sur la terre et avec elle une armée de terreurs à venir. Parce que tout à basculé. Et je suis incapable de me souvenir comment tout à commencé. Je me mêle aux fuyards. Puce n'est pas là. Les enfants ne sont pas là. Et je ne parviens pas à m'expliquer ce qu'il se passe. Monte alors doucement la chaleur d'un brasier, où se mêlent odeur d'essence et de caoutchouc brulé. Elle ranime, dans un crépitement sauvage, la sinistre assemblée. La route fait un coude et, lentement, le spectacle d'un car renversé en travers de la chaussée crache ses flammes sous un épais manteau noir s'enfuyant vers le ciel dans un lourd mouvement de drap. La voix lasse, des hommes et des femmes demandent aux enfants de rester près d'eux, de ne pas s'en approcher. On entend pleurer et gémir. Derrière moi une femme chantonne pour rassurer son petit. Une autre dresse son téléphone portable vers le ciel et se met à hurler.
- Il n'y a plus de signal ! plus rien! Je n'ai plus rien !
Son voisin explose en sanglots. La soif me serre la gorge. J'avance un pas devant l'autre uniquement concentré sur le relief de la route. Soudain tout le monde se met à hurler. Un nuage fou de corneilles vient de fondre sur le groupe. Dans un terrifiant mouvement de panique, tout le monde se précipite au sol dans un cauchemar de hurlements. Les oiseaux griffent, giflent et sèment l'épouvante. Ceux qui parviennent à se relever piétinent les autres. Je suis plaqué au sol. J'étouffe. Une brèche s'ouvre. Je suis debout.
- Je les vois ! Ils arrivent ! Hurle quelqu'un
Comme une vague, tout le monde quitte la route et escalade le talus. C'est ensuite la ruée vers l'autoroute, engorgée de carcasses et débris de voitures. Derrière moi, j'entends le grognement de quelque chose de gigantesque et grouillant. Des forces hideuses et écrasantes nous rattrapent. Une odeur écoeurante envahit l'atmosphère, ma vue se brouille et brusquement, je me réveille.
Il est 4h40.
J'attrape mon portable et jette un oeil à la météo du jour. Le département est passé en vigilance orange. Sont attendus orages, pluie et grêle. J'attends un long moment et, comme annoncé, la séance de pluie commence. Elle déroule sa lancinante et hypnotique partition sur le toit, les murs et les carreaux de la maison. Laborieusement, je finis par retrouver le sommeil.
Après un petit déjeuner comateux Puce et moi prenons la décision de ne rien foutre. C'est dimanche, avec le silence pesant de nos millions de vie à l'arrêt, abandonnés à quelques heures d'évasion. Je décide alors de m'attaquer à l'épisode 10. Je me dis que, tiens, je pourrais, pourquoi pas écrire mon cauchemar. Ça m'occupe un moment.
Vers midi, la pluie fait un break et le soleil vient darder une froide poignée de rayons d'hiver sur les restes de mon jardin dévasté par Scott et Val. C'est fou ce qu'un lévrier et un Jack peuvent faire comme dégâts dans un jardin ramolli par plusieurs jours de flotte. Un petit Verdun sous un ciel encore fragile.
Ces pensées de petit jardinier occupent encore un autre moment de mon dimanche. La grisaille revient bien vite avec les errances qui vont avec. La méditation dominicale est salutaire pour opérer une bonne jachère. Il n'y a généralement pas grand chose à en sortir mais le cerveau apprécie. C'est tout con mais ça engourdit agréablement le spleen (comme la plupart des bonnes choses qui cautérisent) Comme je suis un homme de décision, je décide alors de me laisser aller un peu, comme ça, à écrire pour ne rien dire. Étant journaliste, je sais que c'est possible quand une diffusion l'exige (et puis, quelques uns d'entre vous attendaient l'épisode dix)
Je jette un coup d'oeil à ma dernière photo de route.
Rien ne vient.
J'espère que vous me pardonnerez de décrire ainsi le néant qui m'habite depuis ma visite au Roi-Souffleur. Serait-il un esprit farceur condamnant par son extrême sagesse tout disciple au silence et à la page blanche? Je suis allé à sa rencontre histoire de décoincer une impasse narrative et me voici naufragé. Condamné à décrire un cauchemar et laisser traîner ma plume dans une terre aride. Je cherche l'idée.
Sans doute est-ce cette manière qu'a eu le Roi mettre le doigt sur une évidence qui incite à fermer sa gueule : Le monde n'est plus que vacarme. La parole n'existe plus. Pour une raison toute simple. Absolument plus personne n'en a plus rien à foutre de ce que pense, raconte, fabrique, expose ou partage les autres parce que : nous sommes tous, désormais, occupé à parler de nous à plein temps. Brailler, pleurnicher, s'indigner le temps d'un clic, émettre des pensées profondes dont on voit très vite le fond, et pimenter toute cette effervescente imbécilité en brodant et en voyant des complots partout. Voilà comment notre monde est passé d'une toile de maître violente et fascinante à un brouillon barbare. Une toile numérique absurde bavée par une langue épaisse et furieuse. Une démolition en réseau que l'on nous promet radieuse à grands renforts de com. Dehors, partout, les gardiens du temple dansent avec les marchands. Plus rien ne fait sens. Une petite poignée d'escrocs se gavent et crachent leur mépris aux visages de foules extatiques. Automates épuisés, nourris d'illusions et d'hypocrisies vendues au prix le plus bas. Et tous de nous amuser dans la boue de cette auge. Nous ne sommes plus que des fourmis ivres et sans reine, s'agitant sous les pas des sans-âmes. Quelques géants idiots, incultes et violents, piétinant, hilares, les restes du jardin des origines. Autour, rien ne change. Les pauvres et les fragiles crèvent, mais sans le son. Ouais, je suis encore dévasté par la colère. De nouveau en train de tomber malade de rage. Le Vrai et le Beau de la vie se sont retirés sous le vent mauvais et la marée de l'humeur...
Me voilà, une nouvelle fois, au bas de ma marche.
Le tunnel dans lequel, depuis l'enfance, j'entre pour quelques heures, quelques jours ou quelques semaines. Rarement plus. Mais je reviendrai. Je n'aurai plus les pieds dans la vase et j'aurai de nouveau envie de sourire et de tendre la main. je reconnaitrai de nouveau que des bonnes choses sont aussi en action. Les anges bénévoles qui prennent courageusement le relais là où l'Etat manque à tous ses devoirs. J'entendrai de nouveau le chant de tous ces artistes du quotidien qui réenchantent tout ce qu'ils peuvent. Je repenserai à ces bons patrons qui perdent le sommeil à la seule idée de devoir se séparer de quelques salariés (ils sont nombreux, j'en ai rencontrés) J'aurais encore de l'espoir pour ceux qui veulent s'en sortir. Mais en cet instant précis, fébrile, je m'accroche à mes chiens et je sors.
Je marche d'un pas résolu, casque vissé sur les oreilles. Une tête sans harmonies mais explosée de musique. Dans ces lourds moments où je tente de tout réaccorder, je peux arpenter la ville plusieurs heures. Le parc, la vieille cité, je redescends ensuite le long des quais pour longer la rivière jusqu'à la périphérie. Je suis les hauts boulevards pour rejoindre le calme îlot du château d'eau avant de retrouver les rues étroites qui me ramènent à mon quartier. Entre 8 et 10 kms qui me délivrent un peu et mettent les chiens au repos...
Voilà.
Une semaine est passée.
Puis une autre.
Au rythme d'une chanson triste.
Celdran, mon grand pote au boulot, a perdu son père.
Cela a pris un certain temps. Il s'est battu de longues journées puis il ne s'est pas réveillé. Celdran y a passé ses soirées après le taf parce que l'on s'accroche aussi au boulot quand la petite lumière devant s'éteint et que l'on va se retrouver dans le noir. Dès que l'on a un moment tous les deux, il pleure. Pas longtemps et juste quelques larmes. Parce qu'il en a besoin et que ça lui fait du bien. Puis on reprend le fil de notre conversation. On évoque l'absence ou parfois autre chose et je le regarde travailler courageusement son deuil. J'essaye de garder la bonne distance. Qu'il ne me perde pas de vue. Je lui flanque régulièrement une gentille tape sur la cuisse. Parce que je le connais depuis plus de vingt ans, que l'on a grandi ensemble, en télé et à côté. Comme Spinaltap, il est mon frère d'arme. Et quand un frère perd son papa, forcément, on pleure avec lui.
Il y a eu une belle cérémonie.
Simple et tendre. Une vraie famille de douleurs, batailles et amours. Une vraie famille avec ses harmonies compliquées, ses blessures mal refermées, ces regards finalement sincères sous des sourires éperdus. Des cérémonies qui ramènent à soi et à tous ceux qui ont échappé à notre regard. Un temps important à s'accorder. Retrouver l'humilité du simple passager. Cette étrange navigation vers nulle part qui nous fait nous agiter sur le pont, ramer comme des fous ou hisser haut les voiles en guettant l'éclaircie et les îles.
On le sait bien, même si ça fait un mal de chien, que tout le vrai et le beau de la vie tient aussi dans cet exercice. C'est juste compliqué de se dire que tous ceux à qui nous réservons nos plus tendres et sincère sourires, tout ceux pour qui, souvent, nous nous levons pour aller les serrer fort dans nos bras peuvent se transformer brutalement en souvenirs. On voudrait tellement les garder tous au coeur du solide de nos vies. Mais tout s'échappe. C'est même le mouvement par où la vie passe. Il faut céder la place. Ce n'est pas vain. Même de passage, nous marquerons toujours le territoire des suivants. La mort est juste là pour nous apprendre à lâcher prise et vivre notre vie.
Ainsi, day after day, elle s'écrit.
C'est assez simple, dans le fond.
D'autant qu'avec l'âge, on apprend à voyager léger...
Un paragraphe après l'autre.
J'ai mis le temps à le vivre ce dixième épisode mais avec lui je me suis délivré doucement de la tristesse. Ça a pris plus de temps que d'habitude cette fois. Mais, hier soir, j'ai compris que j'allais mieux. Quand la machine à laver a rendu son dernier soupir. Je ne me suis pas énervé. J'ai essoré le linge, une fringue après l'autre, nettoyé la flotte et juste précisé qu'on en rachèterait une autre.
Calmement, sans me démonter pour ça.
- Je vais en acheter une autre, c'est pas grave. On ira demain.
Une attitude pleine de bon sens.
Adulte et raisonnable. Et puis ce matin, on a prit la bagnole avec Puce et on est donc allé en acheter un autre. Une qui lave et qui sèche. On a été servis par un mec sympa adulte et raisonnable puis une femme pleine d'humour adulte et raisonnable, qui visiblement semblaient aller plutôt bien aussi. J'étais souriant et détendu. Puce en a profité pour s'acheter un nouveau câble pour son portable parce que je lui avait piqué le sien. Un câble qui ne fait pas de noeuds. Un câble apaisant. Un câble d'adulte raisonnable.
Je ne fais plus de cauchemars et j'ai mis en veilleuse mon blog ciné.
Envie de reprendre des forces et de passer à autre chose. Vous brulez d'envie de me demander: et la machine à laver?
Elle sera livrée dans deux jours.
Ça tombe bien, dans deux jours je ne travaille pas. Dans deux jours j'aurais du temps pour proposer un café aux livreurs, me lancer dans l'épisode 11 ou pour aller me balader. Je n'en sais rien et c'est bon comme ça.
Mon portable sonne.
- Salut Francisco, ça roule?
- Ouais, super! Quoi de neuf, vieux?
Ce matin le dernier concurrent du Vendée Globe est arrivé.
124 jours en mer.
Tout seul.
Ça c'est du combat.
J'aime la poésie que drainent dans leur sillage les derniers arrivés.
Ils sont chargés de tout le courage de ceux qui n'ont plus à jouer leur partie.
Et moi je trouve ça noble et beau. Avec lui s'est même pointé un parfum de printemps.
Le soleil et sa chaleur baignent la rue.
Ça sent la fin de l'hiver.
Je vais aller marcher.
Marcher remet les pensées en ordre.
Marc Yvard Piquer le soleil
11ème et dernier épisode
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