LE CRI DU CHAMEAU saison 4 épisode 8
Tandis que s'éteint
le brasier de l'enfance
sous l'orage silencieux
des heures électriques
Je commence à disparaître
C'est sage et lent
à peine sensible
comme une douceur sur la douleur
une pluie fine dispersée sur la mémoire
et tout cet amour
qui tient
Se noyer doucement
au rythme du randonneur
un pas après l'autre
des rues étroites et penchées
au boulevards sans ombres
Penser à Fredo
et chercher l'ami ancien
avec lui tout revient
Passer derrière le décor
comme un vieillard poli
C'est juste là
après l'éclat des colères
et tout cet amour
qui tient
C'est juste là
après la course ivre
les avenues électriques
les premiers feux
et le galop des soirées
Penser à Josée
faite pour l'emballement
ployant
sous l'effort insoluble
et s'envolant vers le grand large
et tout cet amour
qui tient
c'est un peu comme l'idée de l'enfant qui s'en va
le chant d'un mouvement irrévocable
mais
ça peut-être
gracieux
à la manière dont le paysage défile
jour après jour
nos couleurs
entrent en hiver
Je commence à disparaître
C'est sage et lent
à peine sensible
Ça ressemble
aux regards que j'oublie d'échanger
aux sourires mal ajustés
mais cette absence me ressemble
C'est juste là
ça ne me lâche plus
c'est un fidèle compagnon
C'est la musique qui ne couvre plus mon silence
et les idées qui s'échappent
mais
finalement
tout se lit
et tout cet amour
qui tient
Penser à Félix
petite mort
qui rend une vie
Ça ressemble
aux casquettes usées
aux chemises fatiguées
aux mouchoirs et aux tickets en papier oubliés au fond des poches
aux emmerdes et aux tristesses qui amusent
et aux grands films qui se laissent revoir dix fois
Ça ressemble aux efforts que l'on fait
pour
regarder devant soi
pousser les portes
marcher en rythme
verser sa peine
au travail des jours
mais
c'est la lumière soudain
sur le parvis d'une église
et tout cet amour
qui tient
Ça ressemble à l'envie
qui se retire comme la marée.
mais l'océan reste là
tout proche
nous respirons toujours à son rythme
les années magiques
les années fragiles
les années à l'oeuvre
jusqu'au défaites
du sommeil
et des petits cachets blancs
mais
abandonner ce combat
et s'endormir à nouveau
et tout cet amour
qui tient
Nos enfants, déjà, sont sur le quai
ailleurs
dans l'impatience de la vie neuve
C'est lourd sur les bras et dans les jambes
mais
dans le fond
ça ne pèse rien
Ça s'installe ici et là
dans le coeur et sous les yeux
avec un peu de chance
ça rapporte un peu d'élégance
et tout cet amour
qui tient
On peut encore
nouer ses lacets
longer les plages
grimper les montagnes
baiser
bronzer
bouquiner
éplucher les fruits
couper les légumes
jouer
picoler
laisser griller la viande
boire son café doucement
On n'écoute plus
depuis longtemps
la messe du commun
On s'échappe
Commencer à disparaître n'est pas douloureux
c'est
simplement
être là
et rester muet au milieu de ses phrases
C'est le vide
Ce grand silence qui nous retrouve
et tout cet amour
qui tient
Penser à Faby
à l'enfant et au mari qui grandissent et se souviennent
Lire autour
La mort en Chine
Un tireur fou
Six nations sur le gazon
Le Sahel qui bascule
Le clown grotesque
qui danse
sur le dos de ses ennemis
là-haut
sur le toit du monde
c'est
le chaos ordinaire
de l'histoire qui se moque
Rien de grave
disparaître se fait sans fracas
Tout ce que l'on a
repose simplement dans le coeur de ceux qui vous aiment
Parce que l'on meure aussi
pour ne pas rester seul
Souvent
je pense
à l'oncle des bois et des dessins
Jules
solitaire
si léger sur son chemin
avant que le sang tourne
Mais aujourd'hui
Jules aux champs grands ouverts
Jules aux palais forestiers où brament les seigneurs
Jules aux gueules solides
Je pense à Mamie Lisette
sa tendresse embrasse toujours mon horizon
Papi Dom
me nourrit encore de son imposant silence de guerrier
Je pense à JP
qui voulait tant se retrouver
Son masque lourd tomba avec lui
et tout cet amour
qui tient
Parfois encore
je promène ma mémoire
C'est
la maison au pied des grands chênes
les pommiers près de la ferme
le sentier glissant vers la rivière
la route du soir à vélo à fond et sans les mains
le retour de la fraîcheur après les jeux
avec partout
sur l'horizon
comme seule lumière
le ciel en feu
Dans les ombres du jardin
je planque mes poupées soldats
La nuit
sur le toit
les étoiles annonçent l'avenir
Et puis?
Et puis être simplement celui que l'on est
ni plus
ni moins
Aujourd'hui
Je fais comme tout le monde
je commence à disparaître
On meurt seul
mais on traverse à plusieurs
Un peu de magie dans les doigts
sur le clavier
ou l'ivoire des touches
Garder en tête
qu'un petit quelque chose
après
reste
et tout cet amour
qui tient
Pour le moment
je commence à disparaître
C'est sage et lent
À peine sensible
Ce n'est pas mourir
Je me retrouve
c'est tout
Parce que là où je suis
il n'y a rien
il y a tout
Épisode 9
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