LE PRIVÉ, nobody cares but me
Film Noir
Robert Altman
****
C'est un peu Noël.
Retrouver cette perle seventies sur Prime video dans une version plutôt bien restaurée. Voilà l'occasion de se laisser embarquer dans ce nostalgique trip à la nonchalance glorieuse qui se fume d'une seule traite, si possible au coeur de la nuit.
En 1973, Robert Altman remet en piste l'acteur de son cultissime M*A*S*H Elliott Gould (alors tricard pour ses frasques sur les tournages) en réactualisant le mythique détective privé Philip Marlowe. Le flegme de Bogart et Mitchum des précédentes adaptations se réincarne avec grâce dans la coolitude de cet acteur occupant l'écran sans forcer. Voix caverneuse, soliloquant entre deux bouffée de cigarette, le charme opère instantanément.
Ça tombe bien, le meilleur du cinéma américain des années 70 est d'abord un cinéma de personnages. Et la galerie de portrait d'Altman porté par le scénario de l'immense Leigh Brackett (Déjà à l'œuvre en 1945 sur Le Grand Sommeil) nous offre ici un savoureux défilé de fourbes, névrosés et violents déjantés où les femmes à la candeur trompeuse ne jouent pas que les victimes.
Mention spéciale à l'ex star des westerns et polars des années cinquante Sterling Hayden dans le rôle de l'écrivain alcoolique. Une prestation toute en impro, l'acteur étant tout au long du tournage dans le même état que son personnage.
Citons également Mark Rydell (futur réalisateur de The Rose et de La Maison du Lac) incarnant de manière Scorsesienne, aussi drôle que glaçante, la raclure de service, l'escroc Marty Augustine.
Et puis, parmi les hommes de main du malfaisant, difficile de ne pas sourire à l'apparition d'Arnold Schwarzenegger participant à une séance de strip-tease totalement surréaliste. Les amateurs de caméos reconnaîtront l'apparition furtive d'Altman en conducteur d'ambulance... Mais, ne nous dispersons pas, tout le charme de ce faux polar/vraie chronique d'une Amérique en faillite repose bel et bien sur les épaules du solide et charismatique mister Gould.
Les thématiques des polars de Chandler sont bien là.
Marlowe navigue entre trahisons et mensonges dans une intrigue où la noirceur des âmes gouverne mais toujours avec ce retrait salutaire cet touche d'humour qui lui permettent de laisser infuser la vérité avec élégance et décontraction.
Costard-cravatte, dans l'Amérique des hippies, Altman force le décalage de son personnage. Figure mélancolique et solitaire, dont le meilleur pote est son chat, toujours fidèle à une certaine idée de la loyauté dans une société en totale roue libre. Dans ce mariage désabusé entre codes anciens du film noir et atmosphère aux effluves psychédéliques Le Privé n'a rien perdu de sa modernité.
Grand peintre des paumés et rêveurs d'une amérique qui ignore et écrase ses poètes et deux ans avant son chef-d'oeuvre Nashville, Altman allait se vautrer bien comme il faut, tant auprès des critiques que du public, avec ce Privé intime, jazzy, au rythme délicieusement erratique. Dix minutes d'ouverture entièrement dédiées à la bouffe du chat de Marlowe. Mais dix minutes qui imposent avec une classe folle, un style, un rythme, un décor, un personnage et son monde. Bref, l'art de dessiner tout un contexte, sans avoir l'air d'y toucher. Je crois qu'on appelle ça le talent.
Le temps étant seul juge de la qualité d'une oeuvre, justice a depuis été rendue et son Philip Marlowe continue de fumer clopes sur clopes au paradis des films cultes.
Il faut préciser, que le futur réalisateur de Short Cuts, Fool for Love et The Player, s'était entouré ici, en plus de sa co-scénariste de légende, d'une sacré bande de pros.
Sir John Williams à la B.O. Son sublime Long Goodbye décliné ici à tous les tempos au cour du film fait dorer à point le sucre de la nostalgie.
Côté images, on savoure toute la patine du grand directeur photo Vilmos Zsigmond (qui venait d'éclairer et cadrer le Délivrance de Boorman et signerait de nombreuses toiles de maîtres du fantastique Rencontres du troisième type aux chefs-d'oeuvre de Cimino et De Palma Blow Out et Voyage au Bout de l'Enfer. Ses ambiances nocturnes et ses cadres jouant sur les reflets bâtissent l'empire des faux-semblants et soulignent l'intelligence de la mise en scène
Du beau monde au service d'un univers ciné aujourd'hui révolu.
Celui d'un récit cultivant avec grâce l'art de la fugue. Une de ces oasis précieuses auxquelles les maîtres d'aujourd'hui s'abreuvent encore. Le Privé continue de nourrir ses petits d'Inherent Vice de P.T.Anderson à Under The Silver Lake de David Robert Mitchell jusqu'au, dans son humour et sa noble décontraction, Big Lebowski des frangins Coen.
Savoureux.
Planant.
Francisco,
La petite musique d'Altman
1973
1h50
Directed by
Robert Altman |
Writing Credits
Leigh Brackett | ... | (screenplay) |
Raymond Chandler | ... | (novel) |
Cast (in credits order) verified as complete
Elliott Gould | ... | Philip Marlowe | |
Nina van Pallandt | ... | Eileen Wade | |
Sterling Hayden | ... | Roger Wade | |
Mark Rydell | ... | Marty Augustine |
Full cast & crew
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