ROMA, symphonie intime
Poème Carnet intime Coup de coeur 2018
Alfonso Cuaron
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Voici Roma.
Poème intime.
Après m'avoir placé en orbite avec l'étourdissant, virtuose et, au final, bouleversant Gravity, le cinéaste et scénariste des Fils de l'homme, Alfonso Cuaron m'a de nouveau filé le vertige en plongeant cette fois-ci dans ses souvenirs d'enfance.
Cinématographiquement, l'émerveillement est de nouveau au rendez-vous. Tempo hypnotique, maitrise absolue du cadre et du mouvement. Une forme pure accompagnant avec "un grand calme" cette sincère et déchirante lettre d'amour au fantômes du passé. Le spectacle, du plaisir minuscule au chaos d'une révolution, de l'intime à la tragédie, ne cesse de bouleverser.
L'ensemble transpire l'humilité mais résonne comme une symphonie. La maitrise absolue de l'espace et du temps qui se dégage de cette mise en scène stratosphérique au noir et blanc irradiant souligne la grâce comme le chaos de toute existence traversée par l'amour et ses douleurs.
Si Y tu Mama Tambien (2001) évoquait son entrée dans l'âge d'homme le cinéaste convoque ici les visions de son enfance au travers du portrait de Cleo, nourrice et femme de ménage d'une famille aisée, dans le Mexico de 1971. Roma est d'ailleurs dédiée à Libo, l'employée de maison que Cuaron considéra comme une seconde maman.
Le regard de Cuaron, épouse en travellings délicats aussi bien le décor que les personnages. Peu de gros plan, beaucoup d'ensemble, l'oeil du spectateur reste ainsi grand ouvert, comme invité à y dessiner son propre film et y poser ses couleurs. C'est sans doute ce que j'y trouvé de plus admirable. Cette ampleur du cadre, multipliant les plan-séquences et épousant avec distance aussi bien les confidences que les sursauts et les brutalités de la grande histoire. La mise en scène respire et laisse résonner l'écho du souvenir. C'est le temps de l'observation et du recul. Celui du "je me souviens". C'est toute la violence d'une émeute perçue en une seule prise, de l'autre côté des vitres d'un magasin, jusqu'à l'intrusion violente et sèche d'une poignée de manifestants. Ainsi flotte l'esprit de Roma, cette sensation des souvenirs s'échappant dans le large courant du flux de la mémoire.
Roma. La maitrise de l'art.
Une épure débarrassé de l'esbroufe et des tics de montage. À l'image du plan d'introduction. Flot de lessive qui nous rince le regard et impose un rythme qui nous délivre de la frénésie pour nous remettre véritablement à l'écoute. L'image du sol renvoyant celle du ciel nous prépare à l'envol qui va suivre, deux heures durant. Du très grand cinéma comme chuchoté. Produit, écrit, photographié, réalisé et co-monté par un géant du septième Art, il s'impose d'emblée comme l'oeuvre la plus intime d'Alfonso Cuaron. On peut déjà rêver aux suivants tant le goût des "nouveaux territoires" habille l'ambition de ce passionnant cinéaste.
Roma est-il le plus beau film de l'année?
Qu'importe. Je vous laisse seul juge. Parce qu'il s'agit d'un de ces trop rares films qui appartiennent immédiatement à chaque spectateur. Mais on peut affirmer qu'il s'agit là d'une authentique leçon de cinéma, le message universel et sincère d'un carnet intime transcendant tout discours et exercice de style pour nous murmurer rien d'autre que l'essentiel. C'est une oeuvre qui se pose au bon moment. Un grand film humaniste. À l'image du noir et blanc du passé gorgé des couleurs du souvenir, cet hommage aux humbles vibrant d'amour se dessine sur une toile de maître.
Francisco,
Mémoire
2018
2H10