THE LIGHTHOUSE, le Nosferatu du conte marin
Ovni Conte marin horrifico-expressionniste
Robert Eggers
****
Quitte à poursuivre une activité aussi vaine et dérisoire que chroniquer films et séries, autant dénicher les OFNIS (objet filmique non identifiés) The Lighthouse vient donc d’atterrir sur Netflix et ce cauchemar expressionniste du bout du monde, salé aux embruns et filmé dans un noir et blanc charbonneux au format carré, mérite franchement le détour. Donc ... chronique !
Hormis deux silhouettes croisées de loin et une créature marine, cette histoire de gardiens de Phare, ambiance début du 20 ème siècle, nous laisse en seule compagnie de deux personnages cultivant le mystère. Inutile de s’attarder sur le scénario, cette hallucination cinématographique ne se raconte pas, elle s’éprouve.
Bienvenue, donc, sur un bout de rocher battu par les vents au milieu de l’océan, au large du Maine mais plutôt côté nulle part. On devine rapidement, au son de la corne de brume, du ciel bas et lourd, de la pluie épaisse, de la tempête qui gronde et de la solide réserve de gnôle, que ce face à face en quasi huis-clos nous abandonnera loin, très loin de La Petite Maison dans la Prairie.
À l'écran, un Robert Pattinson taiseux et ombrageux, toujours ambitieux dans ses choix de carrière depuis qu’il a survécu à la série Twilight, tient tête à Willem Dafoe, acteur à gueule et vétéran du film de genre bien barré. Tous deux sont désormais rompus à l’exercice délicat de la performance ovniesque. Bon, ok, mention spéciale tout de même à Dafoe, aussi hilarant qu’inquiétant en vieux loup de mer addict à la fertile lumière du phare.
Ces deux là bien en place et ultra investis, le moins que l’on puisse dire c’est que ça joue. Et que ça chante aussi. et que ça danse en gueulant de vieux chants de marins sur la scène d’un théâtre esthétiquement fascinant. Bref c'est assez dingue et beau à regarder dans le genre macabre. Avec ce format étroit de l'image aux ombres profondes et à la texture qui gratte un peu on pense aux premiers temps du muet et au cinéma de Murnau. On tient un peu ici le Nosferatu du conte marin.
Chaque plan est divinement emballé dans l’écrin d’un travail photographique somptueux. Lentilles, objectifs à l’ancienne sur peloche 35mm recadrée, donne forme à une matière filmique vibrante signée du chef op attitré de Robert Egggers Jarin Blaschke. Félicitations Jarin. C’est un régal. Travail d'orfèvre! Les regards comme la peau même des personnages semblent irradier, sortir du cadre. Le tandem flambe aussi grâce à ce travail d'exception.
The Lighthouse ne raconte pas grand-chose au final, énième variation autour de l’âme noire de l’homme, mais c'est dans le bon sens du terme.
Nous sommes ici au théâtre de l'absurde. Récit et dialogues pourraient être extraits d'une pièce de Samuel Beckett. Avec deux personnages attendant non pas Godot mais une relève qui ne vient pas tandis qu'autour d'eux les éléments se déchainent. Cette série de tableaux crépusculaires libère une puissance d’évocation colossale. Il est concevable de gentiment s’emmerder sur le fond mais plastiquement, c’est un putain de chef-d’œuvre. Et oui, comme l'annonce l'affiche du film, ce spectacle à fort pouvoir hypnotique peut creuser profond jusqu'à faire vibrer quelque chose au recoin le plus obscur de notre âme.
Voilà, plus on vieillit plus on savoure le soin accordé aux détails, parce que côté jolies histoires il faut reconnaître aujourd'hui qu'on a un peu fait le tour, non?
Et justement, Robert Eggers réalisateur de l’ensorcelé The Witch (gentiment bâché en chronique parce que trop poseur pour moi hormis un final grandiose) et plus récemment du âpre et sauvage The Northman (Film que je ne cesse de réévaluer) est clairement un cinéaste à suivre et un érudit maniaque du détail.
C’est une des raisons pour lesquelles ses films supportent allègrement plusieurs visions. D’ailleurs j’avais un peu roupillé à la première séance de The Lighthouse (il faut être dans le bon état d'esprit) tandis que la seconde séance vient littéralement de me scotcher. Ce n'est pas une revue à la hausse mais presque une révélation.
Tiens, je me dis même que si ça se trouve The Witch est aussi un chef-d’œuvre... et que je resterai toujours un chroniqueur définitivement amateur.
J’aurais pu terminer sur cette note positive mais je tiens à préciser une nouvelle fois que cinématographiquement parlant, The Lighthouse brille allègrement au-dessus du tout-venant.
Alors, maintenant, c'est à vous de voir !
Francisco,
Atmosphères
2019
1h50
Blu-ray Top démo. Un noir et blanc totalement irradiant. Que c'est beau !
Dispo sur Netflix (mai 2023)
Réalisation
A découvrir aussi
- THE NEON DEMON, l'autre côté du miroir
- ARIZONA DREAM, suivez le flétan du Groenland
- COPENHAGEN COWBOY - Série