L'ABBÉ PIERRE, le plus beau des combats
Biopic
Frédéric Tellier
****
Je profite de sa sortie en Blu-ray pour revenir sur ce film qui, pour moi, a fait mouche et ce, sans jamais chercher à révolutionner l'art cinématographique. Frédéric Tellier (réalisateur de l'excellent polar L’Affaire SK1 et du puissant Sauver ou Périr) signe un vrai "beau film" sur le parcours incroyablement romanesque et édifiant de cet homme d'exception pour qui le mot "fraternité" brillait plus fort que pour le commun des mortels.
La mise en scène est classique mais habitée par un vrai souffle épique, notamment durant le premier chapitre consacré à son éprouvante entrée dans les ordres chez les Capucins puis la période de guerre où, chef maquisard du Vercors en cavale, Henry Grouès allait être rebaptisé Abbé Pierre.
Avec un sens du découpage ample et efficace le récit se déroule avec fluidité dans l'écrin d'une photographie particulièrement soignée signée Renaud Chassaing, déjà à l'œuvre sur les deux précédents films de Tellier (Goliath, Sauver ou Périr).
Côté BO le spectacle est accompagné par les compositions amples et profondes de Bryce Dessner (Bardo). Je me suis laissé embarquer. C'est du grand cinéma à l'ancienne. Une histoire portée par des personnages forts et bien racontée.
Brûlant d'actualité, hélas, ce portrait de l'Abbé Pierre appartient à la délicate catégorie des biopics qui ne se fixent pas sur une période charnière mais ont l'ambition de survoler un destin de la genèse au grand final. Et, franchement, pour moi, le pari est sacrément réussi. Il faut embrasser toute une vie pour saisir l'ADN du personnage. Découvrir à quelles sources se sont abreuvé son courage et son sens du combat. Combat au plus près de la misère, et combats dans les arènes politiques et médiatiques, sans cesse au service des plus démunis. Un homme d'idées et de discours mais aussi de solutions et d'actions. En cela, L'Abbé Pierre - Une vie de combats est un film nécessaire.
Je passe (et perds, parfois) tellement de temps sur des films ou séries consacrés à des anti-héros égocentriques, types blasés, justiciers flingueurs, escrocs, petites frappes, monstres et criminels de tout poil, qu'il est bon parfois de se rappeler à quoi ressemble un humain lorsqu'il décide de tendre la main aux plus fragiles. Seule la solidarité freine le déclin d'une société et ce film nous invite à relever la tête. On en sort avec la ferme envie de ne jamais se résigner. Et ça, c'est un beau cadeau. C'est aussi une des fonctions de l'art et du cinoche. Travailler à comprendre et, qui sait, soigner notre monde.
Quand on aime le cinéma et les biopics, l'autre cadeau ce sont les acteurs. Ici, Benjamin Lavernhe EST l'Abbé Pierre. Plus le film avance, plus son travail d'incarnation est saisissant, des expressions et de la posture jusqu'à la voix même de cette figure désormais historique. Un travail d'acteur exemplaire qui aurait largement mérité un César. D'autant que le scénario de Tellier, co-écrit avec Olivier Gorce (En Guerre, Omar m'a Tuer) lui offre une palette plutôt large puisque l'homme est aussi révélé dans ses moments de faiblesses. Son personnage brûle pour les autres mais se consume et s'étourdit parfois dans son rôle de porte-parole des sans-voix auprès des médias, des politiques et de l'opinion publique.
Moi qui me fous souvent de la gueule des maquillages et prothèses, le travail est ici épatant et n'entrave jamais la justesse de son jeu (jusqu'à 6 heures de maquillage pour devenir l'homme de 94 ans, toujours au front). Et ce compliment est valable tant pour Lavernhe que pour Emmanuelle Bercot.
Je fais bien de citer cette grande actrice car l'immense mérite de ce film, par rapport au beau moment de cinéma qu'était déjà Hiver 54 de Denis Amar avec un Lambert Wilson totalement investi (1989), c'est aussi de remettre au premier plan la figure de Lucie Coutaz qui accompagna et soutint fidèlement l'Abbé Pierre quarante ans durant. Un personnage essentiel dans le parcours de ce "frère des pauvres" magnifiquement défendu par l'actrice.
Avec infiniment moins de matière et d'archives que pour l'Abbé Pierre, Emmanuelle Bercot a su, par son travail et son intuition, ressusciter ce mélange d'humilité et d'efficacité qui la caractérisait (dixit Laurent Desmard, président d'honneur de la Fondation qui l'a longtemps côtoyé et témoigne de son admiration pour le film dans les bonus du Blu-ray).
Lucie Coutaz fut la co-fondatrice du Mouvement Emmaüs, l'artisan de l'ombre, le bras droit qui assura la bonne marche de l'ensemble des communautés en France. L'hommage est bienvenu et la prestation à saluer. L'alchimie entre ces deux acteurs a largement contribué au plaisir éprouvé lors de cette belle séance de cinéma.
Voilà. Si vous ne l'avez pas encore vu, je vous incite à l'acheter ou le louer. Parce que c'est un film qui compte et peut trouver dignement sa place dans votre Blu-raythèque. Classique dans la forme mais avec de beaux accents de poésie, notamment dans son ouverture et son final, L'Abbé Pierre est plus que l'illustration sage et scolaire d'une vie. C'est vraiment le film d'un authentique cinéaste dont le regard sensible et sincère posé sur cet homme hors norme passionne et émeut. Un film avec du cœur et une ambition courageuse. Celle de nous réveiller.
Les derniers plans du film nous invitent à rejoindre le combat.
Francisco,
Le discours d'un frère
Incarner
2023
2h10
Le Blu-ray : Un transfert aussi galvanisant que l'homme qu'il dépeint. La photographie particulièrement soignée de Renaud Chassaing révèle ici toutes ses nuances dans un luxe de détails particulièrement réjouissant soulignant l'admirable direction artistique du film.
Réal
Frédéric Tellier |
Scénario
Olivier Gorce | ... | (screenplay) |
Frédéric Tellier | ... | (screenplay) |
Casting
Benjamin Lavernhe | ... | Henri Grouès dit l'Abbé Pierre (as Benjamin Lavernhe de la Comédie Française) | |
Emmanuelle Bercot | ... | Lucie Coutaz | |
Michel Vuillermoz | ... | Georges Legay (as Michel Vuillermoz de la Comédie Française) |
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