BAC NORD, le polar français bouge encore
Polar
Cédric Jimenez
****
"Ce film est inspiré d'une histoire vraie mais reste une fiction"
Le temps rend justice.
J'ai donc pris le temps d'attendre la sortie Blu-ray avant d'exprimer mes sentiments sur cette puissante baffe ciné 2021. Dans quelques années, passé les vaines polémiques, les amateurs de polars reverront Bac Nord pour ce qu'il est. Un polar admirablement dirigé et interprété, "librement" inspiré d'un authentique fait-divers. Ils se régaleront d'une mise en scène au découpage savant et à l'efficacité terrassante nous embarquant dans le sillage d'un trio de flic évoluant à la marge et lâché par leur hiérarchie dans un Marseille gangréné par le trafic de drogue. Immersion garantie !
Oui, le point de vue est résolument celui des flics. Et la relecture du fait-divers visiblement moins à charge pour eux, mais pour ça, je ne suis pas juge et n'en connais que ce que les médias en ont rapporté. Alors je vais faire comme le scénariste et réalisateur Cédric Jimenez. Me fixer sur ce qui importe. Le film et rien que le film. Jimenez ne lâche pas ses personnages et c'est bien ce qui nourrit la force du métrage et son intensité. As-t'on dressé des procès à Michael Mann, Coppola, Verneuil ou Melville lorsqu'ils magnifiaient leurs truands?
Je ne trouve pas que nous soyons ici face à des "héros", ils sont bien décrits comme couillus mais un poil border et surtout humains donc faillibles et attachants. Vu de notre confortable position de spectateur, leurs méthodes peuvent sembler juridiquement et moralement douteuses mais pour qui éprouve frustrations et humiliations quotidiennement sur le terrain, on peut comprendre (notion toujours utile avant de juger) que ce genre de bascule radicale soit d'abord le symptôme d'un système paralysé par une administrative et comptable culture du chiffre, fuyant les grands moyens, n'incitant pas vraiment à la prise de risque et soignant davantage les médiocres aux doigts sagement alignés sur la couture du pantalon que les têtes brulées. C'est indéniable, nous vivons une époque où les braves prennent cher.
Ce constat amer, ces portraits de flics écorchés basculant ripoux pour atteindre leur cible, évoluant hors cadre pour plus d'efficacité, nous place dans les pas du grand cinéma d'Olivier Marchal. Et la forme est à la hauteur. Jimenez assure la continuité et c'est une bonne nouvelle pour notre cinéma. Je vous parle de Marchal parce que je n'avais pas ressenti tel réveil dans le polar hexagonal depuis le choc 36 Quai des orfèvres, il y a 18 ans. Rien que ça. Délicieuse sensation. Un sain et vigoureux flot intérieur propre à l'arrachage de pantoufles et à la pure jouissance cinévore.
Because oui, nous tenons bien ici un spectacle taillé pour le grand écran. La séquence centrale de l'assaut sur "la ruche" des trafiquants restera dans les annales des plus virtuoses séquences d'action de l'histoire du cinoche. Je n'exagère pas, promis. Conduite pied au plancher, portée par une photographie incandescente (bravo à Laurent Tangy, déjà à l'oeuvre pour Jimenez sur La French), une science du montage atomique, viscérale, ultra-réaliste, elle nous fait oublier les chorégraphies improbables, surréalistes et gavées de CGI des mauvais blockbusters US. Le genre d'expérience tripale qui me fait dire que, non le cinéma n'est pas mort. Je ne me souviens plus très bien à quel moment j'ai pris le temps de respirer durant ces grandioses et suffocantes vingt minutes.
Et non, les quartiers nord de Marseille ne sont pas décrits uniquement comme l'antichambre de l'enfer. Le soin apporté aux séquences de marché ou aux moments plus "sentimentaux" témoignent de l'amour que porte Cédric Jimenez à ses terres de coeur. La lumière du sud est ardente mais délivre aussi ses heures de tendresse. Bac Nord est beau à regarder.
Et puis Bac Nord c'est aussi et avant tout un casting sans fausses notes. Magnifique trio, d'abord. Fatigué, le poil ras, Gilles Lellouche défend ici avec un engagement absolu un des rôles les plus marquants de sa carrière. J'ai découvert et me suis pris en pleine poire et avec ravissement les talents de François Civil et Karim Leklou qui rafraichissent en profondeur l'image du flic de terrain. Et dans cet univers d'hommes, les rôles féminins ne sont pas en reste. Adèle Exarchopoulos en flic et femme de flic dynamite toutes ses lignes de dialogues tandis que le charisme de la jeune Kenza Fortas en indic sous tension fait des étincelles. Le tout avec un naturel désarmant.
Ouais, Bac Nord, avec sa BO toute à la fois rappante, mélancolique, élégante et métissée signée guillaume Roussel, m'a embarqué une 1h45 durant sur les rails du grand cinéma populaire. Celui qui n'a pas peur de s'enflammer ni de foutre le feu.
Francisco,
2020
1h45
Le Blu-ray Côté simple HD, définition acérée, contrastes puissants, couleurs au taquet et instants de photographie brulés de soleil. Un transfert musclé pour une jouissive redécouverte au salon. La version 4K aperçu en démo parvient à marquer la distance avec un boost sur les détails et une photographie moins "brûlée" affinant contrastes et couleurs et libérant plus d'arrière plan dans les contre-jours. Va falloir que j'y vienne mais j'attends que mon 165 rende l'âme pour investir dans la totale. (je reste un cinévore écologiquement responsable. Enfin, j'essaye...)
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