FOXCATCHER, here is johnny !
Drame Histoire vraie
Bennett Miller
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L'American Dream, sur le ring et le divan.
Histoire vraie. Celle de deux frangins champions de lutte, Dave et Mark Schultz enrôlés par John du Pont, coach du team Foxcatcher. D'abord étrange, la relation entre les deux lutteurs et le milliardaire mégalomane prend vite une tournure inquiétante...
Inquiétant, ce mot vient immédiatement à l'esprit en entrant dans ce film à l'atmosphère totalement hypnotique. Steve Carell, Channing Tatum et Mark Ruffalo se fondent corps et âmes dans leurs rôles. Trois prestations magistrales. À l'image de la réalisation et du montage, leurs interprétations jouent régulièrement sur l'ellipse et la nuance. Tous semblent parfois s'effacer dans les limbes de l'univers luxueux mais désincarné du milliardaire. Portraits d'une amérique malade.
Sous la réussite insolente de John du Pont l'obsession et la névrose gouvernent. Une folie immédiatement perceptible derrière le visage impassible de Steve Carell. L'acteur jouant à merveille de son "faux-visage". Des prothèses qui le rendent méconnaissable et nourrissent cette hallucinante et tétanisante prestation. Un artifice qui profite pleinement au portrait de cet être double et paradoxal, capable de vanter les valeurs de courage et d'endurance d'une"Amérique Triomphante"dont il voudrait être l'emblème et n'hésitant pas à fournir son champion en cocaïne... Son champion c'est Channing Tatum. Le bellâtre de Magic Mike et le John McLane new-age de White House Down, ici mâchoire en avant et regard buté, est saisissant. Lutteur surdoué mais enfant en mal de reconnaissance, ayant grandit sous l'aile protectrice de son grand frère. Une fragilité qui explique sa docilité face au coach et mentor John du Pont.
Troisième personnage charnière : Dave. Le grand frère de Mark. Incarné par un Mark Ruffalo totalement investi. Ayant construit son personnage autour d'une silhouette et d'une gestuelle quasi-primitive. À l'image de ce personnage entier, totalement fidèle à son frère et imperméable au manipulations du coach. Il devient le témoin et l'arbitre d'un match sans issue. Une oppression à laquelle personne n'échappe, John du Pont cherchant lui même à capter désespérément l'attention de sa mère. Prestation fugitive mais inoubliable de Vanessa Redgrave.
La réalisation de bennett Miller n'entrave jamais le jeu des acteurs. Une sobriété qui signait déjà ses deux précédentes réalisations, Truman Capote et Le Stratège. La maitrise du cadre, souvent fixe et sans effets, soutien le propos en permanence. Une mise en image totalement maitrisée et baignée par la photographie crépusculaire de Greig Fraser ( Zero Dark Thirty) Un travail sur la lumière et le cadre qui instaure d'emblée ce lourd climat d'oppression psychologique.
Terrible histoire de manipulation et d'aliénation, Foxcatcher torpille ainsi en permanence l'idéal du rêve américain en construisant son récit autour d'un mariage raté. Rencontre illusoire du monde d'en haut à celui d'en bas. La perversité de cet homme de pouvoir souillant la rude solidarité qui liait depuis toujours les deux frères. Cette obsession du modèle gouverne chacun. Une société ou l'échec devient alors une notion totalement ingérable.
Avec Foxcatcher, le réalisateur Bennett Miller délivre ici son film le plus fascinant et le plus déroutant. Une oeuvre sombre mature et profonde, au bord de l'abîme. Un féroce détournement de tous les codes du "film de sport". Ténébreuse psychanalyse d'un fantasme increvable. Celui de ses "success story" qui font rêver et nourrissent l'image même de l'Amérique.
Francisco,
Leçon
2014
2H15
Le Blu-ray Une splendeur... Pour qui aime la bonne vieille péloche 35mm. Une gestion du grain admirable et une patine argentique que l'on savoure de la première à la dernière image. Un niveau de détail qui profite à cette dentelle de HD. La photographie "dans les limbes et la grisaille" et ses teintes délavées sont restituées à la perfection sur ce Blu-ray de compétition. Dans le genre image "avec de la matière" c'est un top démo.