LAMB, deux coeurs en hiver
Poème macabre Conte Ovni
Valdimar Jóhannsson
****
L'amour n'épouse ni formes ni limites...
On m'avait vendu Lamb comme un conte horrifique et je découvre une fable, macabre certes, mais d'une poésie profonde et rude.
Voici un objet filmique non identifié comme je les aime. Où le cinéma retrouve ses pleins pouvoirs. Ici l'image est maître, transcendant une nature islandaise aussi mystérieuse et menaçante que somptueuse et hypnotique. Le silence gouverne. La nature aussi. Du début à la fin. Les dix premières minutes se déroule magistralement, sans une phrase de dialogue. Poésie, quotidien et monstruosité s'y marient avec un sens du cadre et du rythme qui annonce déjà la naissance d'un vrai cinéaste. Pour un premier film, Valdimar Jòhannsson semble avoir assimilé tous les codes ciné et affiche un sens de l'épure qui nettoie d'emblée le regard.
Dès l'ouverture, les animaux de la bergerie semblent faire jeu égal en présence et en attitude avec les humains. La manière de capter leurs regards dans un travail de cadrage et de lumière fascinant suffit a nous faire entrer dans l'univers du conte. Une introduction magnétique. Tout se ressent et s'éprouve dans le quotidien brumeux d'un couple d'agriculteur dont on devine rapidement le drame qui les terrasse.
Le surgissement de l'élément fantastique et la bascule du récit dramatique dans la fable, naissance d'une créature hybride, s'opère avec une délicatesse admirable. Malgré un postulat compliqué à avaler pour un cartésien le réalisme du récit ne se dérobe pas. Le poète qui sommeille en vous succombera aisément à ce tour de magie cinématographique. Si Lamb est passé relativement inaperçu en France il a affiché un joli score tout là-haut dans son pays de naissance. Il faut préciser que dans la culture islandaise les croyances envers "le peuple invisible" et ses sortilèges sont encore bien présents. Au milieu de ces paysages du début du monde l'âme des habitants possède encore cette faculté d'embrasser ce qui ne se voit pas. Le film s'en nourrit. Inutile de dévoiler plus d'éléments de ce conte sur le deuil et l'éperdu besoin de consolation. Je peux juste ajouter que malgré le rythme contemplatif la tension est omniprésente. L' horrifique rôde...
Autre source de ravissement, ces portraits d'âmes perdues prêt à faire plier la raison pour accepter l'impensable et soulager leur peine sont portés par des acteurs épatants. Il en fallait, compte tenu du peu de dialogues. Quelques mots s'échangent, qui suffisent toujours à saisir l'essentiel. Une narration précise, sensible, sonnant juste et épurée à l'image de la réalisation. Un terrain de jeu idéal pour libérer émotions et sensations. Lamb, je le disais, est un film qui s'éprouve. Jusqu'à la dernière image.
Noomi Rapace trouve là son rôle le plus marquant depuis son interprétation habitée de Lisbeth Salander dans la trilogie Millenium. Ça fait plaisir de la retrouver en pleine possession de son talent après ses dernières patouilles sur Netflix. Son charisme irradie de nouveau ici grâce à une direction d'acteur que l'on devine libératrice.
Techniquement, le travail sur le son (peu de musique) et la photographie sont divins. Et l'expérience du réalisateur comme concepteur d'effets spéciaux fait des merveilles dans la représentation de la créature, par qui tout arrive. Lamb est pour moi du grand cinéma. Une rareté à savourer en ces temps de disette noyée dans le spectaculaire et le bruyant.
Dans sa manière de poser récit et personnages au coeur des "limbes", son jusqu'au-boutisme, son nihilisme et son refus de caresser le public dans le sens du poil j'ai même ressenti un sens de la parabole et de la prophétie proche de celui du maître de cinéma Béla Tarr (ici, producteur exécutif) Un grand merci aux studios A24 qui ont le courage de se constituer un sacré catalogue d'objets filmiques résolument uniques donc pas facile à placer dans le box-office. Pas mal de leurs titres ont rejoint les chroniques de ce blog comme Ex Machina, Moonlight, Hérédité, American Honey, The Lobster ou The Rover et, plus récemment, Under the Silver Lake, The Green Knight ou The Tragedy of Macbeth. Rien que des pièces uniques. Non, le cinéma n'est pas mort. Régulièrement, de nouveaux auteurs visionnaires le libère.
Grande et belle surprise, donc, que ce Lamb acheté au feeling et qui m'a offert hier soir une séance de cinoche délicieusement étrange et envoûtante. Je peux comprendre qu'une partie du public reste à la porte de ce genre d'histoire qu'elle jugera "ridicule" ou "tordue", mais, pour les amoureux comme moi du hors-piste, le voyage vaut le détour. Et puis, c'est toujours une grande joie d'assister à la naissance d'un authentique cinéaste.
Francisco,
2021
1H45
Le Blu-ray La splendeur du paysage découpé en cadres somptueux se déguste avec onction dans ce Blu-ray top démo.
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