LES CRIMES DU FUTUR, un petit manque de chair
Conte macabre Parabole
David Cronenberg
****
Ok, le Steelbook du Blu-ray est canon.
Mais une fois déballé et engagé dans le lecteur il faut bien, 1h45 plus tard, sortir la charrue du garage des Chroniques Ciné et me remettre à labourer mon petit carré.
Alors, bon, comment pourrais-je qualifier l’expérience…
Disons, fasciné visuellement mais avec, régulièrement, une furieuse envie de couper le son. Attention je ne fais aucunement allusion à la sublime partition d’Howard Shore. Je trouve simplement que Les Crimes du Futur est un film bavard. Et il n'avait absolument pas besoin de l'être.
Body-Art, scarification, excroissances, spectacle du corps en métamorphose, transhumanisme, Cronenberg déroule ici ses obsessions dans une œuvre qui se voudrait testamentaire mais qui, faute d’abandon à la puissance de ses images et visions (la photographie de Douglas Koch est somptueuse) se révèle sur le fond plutôt laborieuse. Une longue dissertation déroulée par des acteurs certes fascinants mais qui aurait mérité un traitement plus allusif qu’explicatif. On est limite dans un film d’étudiant brillant mais un poil insistant dans ses énoncés.
Ce retour au body horror, genre qui hante la filmographie du maître avec comme étendards les chef-d’oeuvresques et fascinants Videodrome , La Mouche, Faux-semblants, Le Festin Nu ou Crash, semble ici frappé d’une forme d’académisme morbide. Ambiance muséographique ou visite du Cabinet de Curiosités Cronenbergien. Dans des cadres tirés au cordeau les personnages ne sont plus que les véhicules du discours. Ce manque de « chair » dans un film où, pourtant, le corps s’affirme comme seule réalité, freine l’incarnation. Alors même que le charisme du couple Mortensen-Seydoux magnétise l’écran. L’acteur fétiche des derniers films de Cronenberg, (4ème collaboration après History of Violence, Les Promesses de l’Ombre et A Dangerous Method), fringué comme la Mort en marche dans Le Septième Sceau, compose instantanément une figure iconique du créateur prisonnier de son personnage. Une posture à l’esbrouffe, pathétique, quasi onaniste, traduisant une démarche moribonde dans un univers épuisé. Un monde décrépit, gangréné où seule, désormais, la mutation fait art. Et cette figure d'interroger le statut de l’artiste dans un monde naufragé, entre provocation et imposture, de l’abdiquation à la trangression. Ses longues plages de dialogue parfois pontifiantes nuisent à la digestion de ce que la mise en scène, brillante d’épure, ne cesse pourtant d’exposer.
Vanité d’une société où les corps s’affirment comme ultimes sanctuaires artistiques... Ce scénario, resté au placard depuis des décennies, réaffirme alors sa pleine valeur prophétique. Là-dessus, rien à dire. Le terreau est fertile. Mais je ne puis m'empêcher, ô prétention ultime, d'imaginer le même film version quasi-muette.
L’ensemble se hisserait alors à la hauteur de la terrassante et philosophiquement terrifiante scène d’introduction qui impose un art de la mise en scène admirable ou le silence est roi. Car, j’insiste, l’œuvre reste visuellement fascinante du premier au dernier plan. Et les instants de grâce horrifiques sont multiples. Des salles de « performance » gothiques aux décors extérieurs d’un cimetière marin la symbolique s’épanouit avec une rigueur digne du maître de cinéma qu’est devenu le réalisateur du cultissime Dead Zone.
Soyons d'accord, nous sommes ici à des années lumières du tout-venant.
Les Crimes du Futur reste une œuvre importante, qui signe le retour aux affaires du cinéaste après huit ans d’absence (Maps to the Stars, 2014 et un film à venir avec Léa Seydoux et Vincent Cassel) mais sa « maladie » est de renvoyer sans cesse le spectateur à un silence qu'il aurait pu imposer davantage tant son art de cinéaste est ici éclatant. Cronenberg est grandiose quand il ouvre une porte, mais encore meilleur quand il veut bien "la fermer un peu". C'est un visionnaire et la seule puissance de sa mise en scène suffit à rendre muet la concurrence.
Francisco,
L'avis des lecteurs
Chris
" Ce film est une belle prouesse, presque un ovni à une époque où le cinéma est devenu un enchaînement de films sans substance... Un film intelligent, un film qui interroge, un film qui dérange, du pur Cronenberg "
Chroniques Cronenberg
2022
1h45
Le Blu-ray Un top-démo visuel et sonore. Une précision et une richesse de matières et couleurs qui viendront se tatouer sur votre rétine. Que c'est beau !
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