EXISTENZ, Cronenberg avait déjà la réponse
Sf Anticipation
David Cronenberg
****
1999.
Deux obus cinématographique remettant en question la notion de réalité et d'identité explosent sur les écrans. Fight Club et Matrix.
Deux oeuvres qui, chacune dans leur genre, ont résonné si fort qu'elles ont assourdi la sortie d'Existenz. Cette fable aux allures de "farce funèbre" de Cronenberg passa quasiment inaperçue. Ce nouveau transfert Blu-ray est une invitation à savourer aujourd'hui la dimension prophétique de ce cauchemar sur la réalité virtuelle interrogeant notre humanité et notre identité.
Les personnages plongent ici corps et âme dans l'univers d'un jeu baptisé "Existenz" en connectant leurs "podes", sortes de mollusques visqueux d'apparence tumorale, à leur récepteur fiché dans leur moelle épinière. la notion de "divertissement" s'efface pour devenir un acte de pénétration transformant les joueurs en camés de l'évasion virtuelle. Le principe de connexion organique file d'ailleurs tout au long du film cette métaphore avec l'union charnelle.
La profonde originalité, et modernité, de cette parabole est ainsi d'évacuer la dimension informatique du processus pour une vision viscéralement organique. Nous sommes bien chez le réalisateur de Videodrome et des Crimes du Futur. Le corps fusionne avec la machine et sa corruption gangrène jusqu'au décor. L'artificiel se confond au naturel dans un mariage peu ragoûtant limite gore. Tout est gluant, baveux et sanglant. Même si il ne se reconnait pas dans cette qualification, Cronenberg reste bien le pape du body-horror. La messe est autant organique qu'intellectuelle. Les films de Cronenberg sont d'abord des expériences sensorielles.
L'autre point de vue original est que l'espace même du jeu se déroule dans un décor ordinaire, sale et souvent désaffecté. C'est toute l'ironie d'Existenz. Le Jeu est une seconde réalité qui ne cherche même plus à la sublimer.
La densité de ce multivers est simplement traduite par la texture riche en matière de la photographie et les tableaux du brillant et fidèle chef-opérateur de Cronenberg Peter Suschitzky. Un directeur photo passé maître dans l'art d'imprimer dans l'oeil du spectateur la sensation "d'image mentale".
L'espace est familier mais habité par un constant sentiment d'étrangeté. Nous sommes bien en pays étranger. À cela s'ajoute les compositions oppressantes d'Howard Shore, fidèle au poste.
Pour tout fan de Cronenberg l'immersion est garantie.
Nous suivons le personnage de la conceptrice du jeu incarnée par la magnétique Jennifer Jason Leigh, accompagnée d'un jeune stagiaire incarné par Jude Law. Tous deux tentent d'échapper à des terroristes opposés à cette oppression du jeu sur le réel. Dans cette atmosphère menaçante et paranoïaque les repères s'effacent rapidement et l'épanchement du jeu dans la réalité extérieure devient la matrice même de l'existence des personnages. Les protagonistes existent et vivent plus fort une fois connectés. La condition même de leur survie repose sur cette connexion. La créatrice de cet univers en devient la première prisonnière.
Dans cette atmosphère déroutante où l'immersion absolue dans la réalité virtuelle traduit également l'incapacité à y résister, la pertinence de ce qui fonde notre humanité devient dérisoire. La fiabilité même du récit et l'identité des personnages sont susceptibles d'être remises en question. Le brouillage est total et, au final, tout retour au "réel" semble impossible.
Si l'humour affleure à chaque séquence et vire parfois à la farce macabre par nombre de situations et personnages virant au grotesque, l'avertissement est glaçant.
Cette notion de divertissement devenant addiction puis religion résonne encore plus fort aujourd'hui. La prophétie s'est accomplie.
Avec nos portables devenus extension de nos mains, notre asservissement à la technologie non par la coercition mais par la séduction puis "l'envoûtement" a fait de nous les esclaves consentants d'une société dont l'illusoire permanence repose sur notre ultra-dépendance à toute forme de consommation. Nous répondons davantage aux injonctions de programmes qu'à nos propres interrogations. Ce qui fait de nous des humains est non seulement menacé mais sans doute déjà perdu.
Viens cette question:
Serions nous encore capable de nous déconnecter définitivement ?
Il y a 25 ans, Cronenberg avait déjà la réponse.
Francisco,
Chroniques Cronenberg
1999
1h35
Le Blu-ray Moins impressionnante que la mirifique restauration du Festin Nu (quelques visages un poil roses) le résultat reste tout à fait réjouissant. Couleurs, détails et contrastes offrent une vraie et solide redécouverte.
Directed by
David Cronenberg |
Writing Credits
David Cronenberg | ... | (written by) |
Cast (in credits order) verified as complete
A découvrir aussi
- BLADE RUNNER, les cinévores rêvent-ils de licornes en papier?
- MAD MARX - Web-série
- DUNE, retour aux choses sérieuses