THE BIKERIDERS, You and me kid
Drame Balade mélancolique
Jeff Nichols
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C’est con d’ouvrir ma chronique ainsi, mais ce que j’apprécie chez Jeff Nichols, c’est son amour profond du cinéma.
J’entends par « cinéma » ce bon vieux scope qui prend ses aises et s’ouvre au grand large comme il se doit. Après les élégiaques Mud et Loving, The Bikeriders offre une nouvelle leçon d’ampleur et de fluidité, tant dans la mise en scène que dans un récit riche en échos et en résonances. C’est une belle histoire d’amour, de loyauté et de trahison, peignant le portrait d’un club de motards qui vire progressivement au gang.
L’image triomphe puisque toute l’inspiration, de l’écriture du scénario au cadrage de nombreux plans, est née de l’ouvrage du photographe Danny Lyon, qui s’est retrouvé dès sa sortie en 1967 sur les étagères de tous les mordus de la route, de la liberté et des cheveux dans le vent (Spinal Tap et moi partageons cette nostalgie).
L’alchimie opère aussi grâce à ce trio d’acteurs épatants, au centre duquel, impériale, brille Jodie Comer (Killing Eve, Le Dernier Duel).
Son personnage, à la fois témoin, amoureuse et narratrice, permet de garder une certaine distance par rapport à un spectacle qui, sans elle, aurait pu se transformer en film sur une bande de bikers bas de plafond. La tendresse de son regard les enveloppe d’une profonde humanité : clochards célestes, losers attachants. La nostalgie et un certain sens de la tragédie se déploient alors sur cette balade de rebelles, emblèmes d’une Amérique plus rock que réactionnaire, basculant progressivement dans une délinquance criminelle vaine et dévastatrice.
Du clin d’œil direct à la mythique Équipée Sauvage, avec un Brando incendiaire qui pousse Johnny (truculent Tom Hardy) à créer le club des Vandals, jusqu’au cynique happy end pantouflard, Jeff Nichols nous emballe avec poésie et sensibilité, sans jamais tomber dans le folklore. C’est la marque des grands, déjà triomphante dans Loving, cette capacité à sublimer le désenchantement.
Bien sûr, pas de film de bikers digne de ce nom sans une figure d’ange blessé. À ce sujet, on peut saluer la prestation d’Austin Butler. En prince déviant il incendie clairement le métrage. Sa voix profonde, son charme et sa beauté ravageuse l’imposent véritablement comme la nouvelle star d’Hollywood. Découvert avec ravissement dans Elvis, confirmé dans Dune 2 et l’héroïque et réjouissante série Masters of the Air, il est non seulement magnifique, mais son charisme hors norme garantit déjà à The Bikeriders son statut d’œuvre culte. Sa savante décontraction évoque le fascinant et ténébreux Mickey Rourke des années 80, avec un soupçon du Rusty James de Coppola dans ce chant tout en cuir et grosses bécanes sur la fuite du temps et la perte des illusions.
Avec Austin Butler, Jeff Nichols tient son Motocycle Boy. Bref, nous avons peut-être ici le casting le plus électrique de l’année. Ainsi, embarqués dans le sillage de ces figures magnétiques, il n’est pas difficile pour nous de se laisser emporter par le courant.
Si The Bikeriders rend grâce au « cinéma de personnages », il est aussi admirable sur le plan de la forme et du son. Amoureuses et amoureux cinéphiles, vous avez droit à une mise en scène aussi intime qu’aérienne, où le velours brun de la photographie d’Adam Stone (chef-opérateur pour Nichols depuis son premier film Shotgun Stories) fait merveille.
L’enchantement est total lors du premier acte, consacré au coup de foudre de Cathy et à son envol au sein du club, avec une magnifique séquence de roulage nocturne. Et comme ce brillant cinéaste travaille « en famille », on retrouve le parfait tempo de la monteuse Julie Monroe, adoptée depuis Mud après avoir œuvré sur plusieurs blockbusters au début des années 2000. Son expérience paye cash. The Bikeriders affiche un sens du rythme aussi subtil et délicat qu’efficace.
Quelques mots sur la bande originale, bien sûr. Sans pouvoir tous les citer, elle déroule ses glorieux standards de The Animals à Mickey Murray, en passant par les Shangri-Las, Staple Singers; Stooges et Van Morrison, Cream, Bo Diddley, Buddy Waters, Aaron Neville, et sans oublier les belles compositions du frère de Jeff, Ben Nichols. Une ballade musicale au sommet de laquelle le désenchanté Masters of War de Dylan prend tout son sens. Diégétique ou extra, la musique irrigue le cœur du film et tout ce qui s’y résonne.
The Bikeriders, d’une manière impériale mais sans révolutionner le genre, est un magnifique hommage à une Amérique perdue autant qu’à ce bon vieux cinéma de conteur, un peu en carafe aujourd’hui. Pour terminer sur une touche littéraire, je dirais que, oui, face à une telle maîtrise de l’art, j’ai carrément pris mon pied.
(Et ce n’est pas qu’une affaire de nostalgie ni de génération, puisque mon fiston a grave kiffé)
Francisco,
Family
2023
1h50
Sortie Blu-ray 30 octobre 2024
Directed by
Jeff Nichols |
Writing Credits
Jeff Nichols | ... | (written by) |
Cast (in credits order)
Jodie Comer | ... | Kathy | |
Austin Butler | ... | Benny | |
Tom Hardy | ... | Johnny | |
Michael Shannon | ... | Zipco | |
Mike Faist | ... | Danny | |
Boyd Holbrook | ... | Cal | |
Norman Reedus | ... | Funny Sonny |