INLAND EMPIRE, sur les terres de Lynch
Hors-piste Expérience Cauchemar
David Lynch
*****
C'est fou, c'est flou, oui, mais c'est beau.
J'ai donc plongé pour la première fois hier soir dans les eaux troubles et profondes de l'univers délicieusement cauchemardesque d''Inland Empire. Le dernier film de Lynch que je n'avais pas encore visité. Une oeuvre dont j'avais sans cesse repoussé la vision, rétif que j'étais à me farcir trois heures de hors-piste tourné en DVCAM SD.
Et pourtant, cette texture d'image vidéo de basse résolution profite pleinement à ce récit purement Lynchien, creusant la veine de Mulholland Drive, où le rêve Hollywoodien devient une entité dévorante pour une actrice perdue. Avec cette texture d'image au contours flous le spectacle d'une réalité qui ne cesse de se dérober pour se fracturer en plusieurs univers parallèles offre des visions dignes de tableaux expressionnistes. S'appuyant sur le tournage d'un film au scénario réputé maudit nous sommes baladés au fil d'un trip cauchemardesque à la temporalité fragmentée dans un conte macabre où, comme souvent chez Lynch, des femmes "sous emprise" luttent seules pour retrouver leur liberté en cherchant à s'échapper d'un labyrinthe névrotique peuplé d'ogres mafieux malfaisants.
Avec Inland Empire et sa caméra numérique en totale liberté, Lynch s'amuse comme un fou. Et cette liberté est jubilatoire pour les spectateurs avides d'expériences inédites que nous sommes (si vous avez cliqué sur cette chronique c'est que vous en êtes)
Le scénario s'autorise toute les libertés et déroulent les obsessions propres au réalisateur de Lost Highway. Ici, la figure récurrente de "l'homme mystère" annonciateur de messages prémonitoires fracturant le quotidien et ouvrant un passage vers d'autres niveaux de réalité s'incarne ici dans le personnage d'une voisine inquiétante (magnétique Grace Zabriskie, fidèle de Lynch depuis Twin Peak et Sailor & Lula) venue sonner à la porte de "l'actrice principale". À partir de là, nous validons notre ticket pour un grand huit sensoriel qui vous emmènera bien au-delà des frontières connues du paysage cinématographique traditionnel.
Ce "cauchemar" est parfois éprouvant, difficile de le conseiller pour un moment "feel-good", mais l'humour n'est jamais loin et les perspectives sans limites, l'imaginaire débridé et la poésie intense qui habitent chaque espace et chaque seconde de ce royaume intérieur vous garantissent une expérience résolument unique. Ce sentiment-là est précieux quand on cherche sans cesse à ranimer sa passion du septième art. Ces trajectoires hors piste sont même vitales pour la survie de la créativité. Tout l'art est de s'abandonner à l'hypnose et laisser résonner en soi échos et méditations.
Le génie de ce passionnant cinéaste est bien à l'oeuvre ici. Ruptures brutales dans la narration, échappées oniriques, hallucinations, schizophrénie galopante, du rire à l'effroi cette histoire d'un esprit à la recherche de la lumière est l'aboutissement d'une vie d'artiste dédié à l"exploration de toutes les formes et matières de l'expression. Lynch est non seulement un réalisateur mais également un artiste plasticien et cette oeuvre synthétise peut-être plus que les autres cet amour de "la matière" artistique. Avec cette image semi "brouillée" parfois "surexposée" Island Empire est bien un voyage, une expérience au coeur d'une toile de maître autant que d'un "bricoleur" de génie. La création et le tournage d'Inland Empire se sont étalés sur plusieurs années et sont le développement d'une "expérimentation vidéo" autour d'un monologue de Laura Dern, muse et artiste dévouée au réalisateur. Une oeuvre-somme, auto-réflexive et miroir car truffée de mises en abyme, signes et références empruntées au surréalisme comme aux précédentes "traversées Lynchiennes", qu'une seule vision ne suffit pas à embrasser.
Inland Empire est un film "libérateur" dans tous les sens du terme. Un ovni précieux porté par une actrice qui se livre corps et âme au chaudron d'un artiste souvent imité et rarement égalé. Un banquet tant sur le fond et la forme que pour l'âme et le regard de tous les dingues de "l'expérience cinématographique".
Pour traduire mon enthousiasme, au terme de ces trois heures hors-sol, je pourrais formuler ça ainsi : je suis ivre de m'être souvent perdu et de ne pas avoir tout compris.
Francisco,
Chroniques Lynch
2006
3h
Le blu-ray Compte tenu du matériau premier, un tournage vidéo en DVCAM (résolution 480i) puis gonflé en HD, le résultat offre l'expérience la plus satisfaisante possible. Elle fera fuir les amoureux de la belle image UltraHD à la Netflix mais l'aspect "expressionniste" de cette basse résolution est en parfaite cohérence avec l'univers fantasmatique et onirique de l'ensemble. Une texture d'image volontairement brouillée pour traduire une réalité qui se dérobe en permanence. Une fois prévenu, l'expérience visuelle vaut franchement le détour tant certaines visions de cauchemar évoquerait presque un tableau de Francis Bacon.
Directed by
David Lynch | ... | (directed by) |
Writing Credits (WGA)
David Lynch | ... | (written by) |
Cast (in credits order) verified as complete
Karolina Gruszka | ... | Lost Girl | |
Krzysztof Majchrzak | ... | Phantom | |
Grace Zabriskie | ... | Visitor #1 | |
Laura Dern | ... | Nikki Grace / Susan Blue | |
Jan Hencz | ... | Janek (as Jan Hench) | |
Ian Abercrombie | ... | Henry the Butler | |
Karen Baird | ... | Servant | |
Bellina Logan | ... | Linda | |
Peter J. Lucas | ... | Piotrek Krol | |
Amanda Foreman | ... | Tracy | |
Jeremy Irons | ... | Kingsley Stewart | |
Justin Theroux | ... | Devon Berk / Billy Side | |
Harry Dean Stanton | ... | Freddie Howard |
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