LA LOI DU MARCHÉ, notre Ken Loach
Drame
Stéphane Brizé
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- Ce qu'il nous faudrait, en France, c'est l'équivalent d'un Ken Loach.
Combien de fois on a pu se dire ça, entre potes cinévores.
Surtout après être sortis un peu colère du pensum grotesque des Deux Jours, Une Nuit, des frères Dardenne. Quelle joie de voir enfin un réal parler frontalement et dignement de cette France oubliée, qui se bat tous les jours pour ne pas péter les plombs. La santé mentale bien entamée par des boulots de merde, des stages inutiles et de déprimants face à face avec les conseillers débordés et désarmés de Pôle-Emploi.
Cette lutte, le réalisateur Stéphane Brizé vient de lui rendre un hommage magnifique. Un hommage tout entier incarné par le personnage de Thierry Taugourdeau.
Immense Vincent Lindon, palme d'interprétation mille fois méritée tant l'évidence de son jeu et sa présence à la Gabin habitent instantanément l'écran. Son regard dit tout de cet homme. Triste mais toujours digne. Cette manière d'encaisser les coups, sans jamais céder ni au désespoir ni à la violence. Et pourtant la cruauté du système est bien là. Passer des mois à se former à un métier que l'on n'exercera jamais. Rendez-vous à la banque ou l'on vous conseille de vendre tout ce qui a fait votre vie jusqu'ici. Le film ne le quitte pas d'une semelle et nous suivons son parcours du combattant comme je suivais il y a quelques années la Rosetta des Dardenne (avant que l'excès de récompenses ne les condamnent à l'autoparodie)
L'homme reste debout. Soumis mais avec l'endurance du gladiateur. Parce qu'il lui faut du courage à cet homme profondément humain pour accepter ce boulot de vigile dans une grande surface. Un job ou l'on traque non seulement les voleurs mais où l'on observe et dénonce aussi ses petits camarades. Bienvenue dans le monde merveilleux de la grande distribution.
Un secteur ou une caissière peut perdre son job après vingt ans d'ancienneté pour avoir simplement récupéré quelques coupons de réduction qu'un client n'a pas utilisé. Séquence glaçante où, pour ce geste dérisoire, le patron du magasin n'hésite à parler de "trahison et de confiance à jamais brisée". Des mots d'une violence effarante. Des mots qui tuent...
Cette douloureuse loi du marché, Stéphane Brizé nous la met devant les yeux avec une somptueuse simplicité. Dans un scope affuté, le réalisateur saisit tous ses instants de vérité en plan-séquence. Aucun effet de montage ne vient troubler cette sensation de réalité. Une lecture de documentaire mais avec l'écriture d'un très grand cinéaste. Avec le puissant Dheepan de Jacques Audiard, La Loi du marché est pour moi le grand film français de l'année 2015.
L'authenticité et la justesse règnent. Un savant mariage d'acteurs et de non professionnels garantissent la crédibilité de l'ensemble. Pour réussir ce mariage il faut un grand directeur d'acteur. Ce qu'est assurément Stéphane Brizé. Un réalisateur qui a l'art de se tenir à "la bonne distance". Sans discours ni gros sabots. Une constante depuis Mademoiselle Chambon (2009). Sans doute est-ce l'effet Lindon. Le visage et le jeu de l'acteur sont à l'image de la filmographie du cinéaste.
Humble et juste.
Francisco,
L'avis des lecteurs
Old Guy,
On devrait obliger tous les dirigeants (politiques, patrons d'entreprises, journalistes ... ) à voir ce film et à faire un stage obligatoire dans les coulisses de Pôle Emploi. Ils en verraient des Vincent Lindon, des jeunes, des femmes, des hommes à la dérive qui, au lieu d'être vraiment aidés sont abandonnés ou orientés vers des "parcours" ( vive la langue de bois !) insensés.
Monde absurde à la Kafka !! Comment sortir du labyrinthe ? Tu as raison Francisco, Loach / Brizé: même combat ! L'exemple parfait d'un cinéma militant.
2015
1H30
Le Blu-ray Parfait. Un scope affuté pour une photographie naturaliste toute de précision comme seules l'offre les dernières caméras HD. Bienvenue dans le monde réel ! Le social qui réveille se déguste en Blu-ray. Un écrin de choix pour ce très grand film.