LE DERNIER RIVAGE, c'est ainsi que finit le monde
Anticipation Drame universel Post-apo intimiste
Stanley Kramer
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- The war started when people accepted the idiotic principle that peace could be maintained by arranging to defend themselves with weapons they couldn't possibly use without committing suicide.
Vivre les derniers jours du monde en compagnie d'Ava Gardner, Gregory Peak, Fred Astaire et Anthony Perkins est une offre qui ne se refuse pas. Surtout lorsque ce grand cru de 63 ans d'âge n'a rien perdu de sa saveur ni de son impact.
Le Dernier Rivage , du solide et engagé Stanley Kramer (La Chaîne, Devine qui vient Dîner..., La Nef des Fous) reste encore aujourd'hui d'une vibrante actualité. Avec la guerre en Ukraine le spectre d'une apocalypse atomique fait aujourd'hui son grand retour. Un scénario un peu mis de côté depuis la fin de la Guerre Froide... Voici donc l'occasion de s'y remettre et de méditer sur ce qui nourrit notre fragile existence.
Se reprendre une petite leçon de désenchantement made in Hollywood écrite par le scénariste de L'Équipée Sauvage John Paxton est donc de rigueur.
Ce scénariste méconnu qui n'aligna pas vraiment les chef-d'oeuvres est ici vigoureusement inspiré par le bouquin de Nevil Shute. Son écriture fait ici merveille. Les échanges désabusés entre désespoir, déni et cynisme de la plupart des personnages évoquent ici la mélancolie profonde d'un Tennessee Williams ou d'un William Faulkner écrivains alors à l'oeuvre pour le cinéma dans ces glorieuses années cinquante.
Sans aucun effet spécial et sur la seule tension d'une situation sans issue, la profonde maturité du récit et la densité des personnages nous offrent deux heures quinze de grand cinéma sur le thème, ô combien dévoyé aujourd'hui, de la fin de notre monde. On y croit, tout est bel et bien foutu mais sur un plan cinéphilique on nage dans le bonheur.
Ici l'équipage d'un sous-marin de combat accoste à Melbourne.
Les Américains et les Russes ont envoyé la sauce et ces derniers survivants trouvent ainsi réfuge en Australie. Tenus par la rigueur militaire, ils entretiennent un temps l'illusion de leur vie d'avant tandis que grimpe inexorablement le niveau des radiations. On sort, on organise des soirées. Un Anthony Perkins à fleur de peau s'efforce de faire accepter l'impensable à sa jeune épouse devenue mère. Acceptation douloureuse d'une vie de parents déjà finie alors qu'elle s'ouvrait. Ava Gardner picole sévère, même si l'actrice en porte elle-même les stigmates son magnétisme et son aura subjuguent, et tout en cette immense actrice fait corps avec son personnage. Femme esseulée, sa soif d'amour est totalement déchirante. Fred Astaire ne fait plus vraiment dans les claquettes mais en bon scientifique il rappelle ici à tous le principe de réalité. Son charisme fait le reste. Tout comme Gregory Peck, fringuant capitaine, excellent dans le rôle d'un militaire s'accrochant à sa fonction pour ne pas sombrer et s'accrochant encore à l'idée que là-haut, aux USA l'attendent femme et enfants. Ava Gardner deviendra alors son phare dans ce crépuscule qui monte. Haute alchimie ! Ce duo, amis dans la vie et plusieurs fois réunis au cinéma, irradie l'écran
(La, c'était vraiment histoire de faire un mauvais jeu de mot)
Toute une humanité au bord du gouffre.
Voilà le spectacle qui fascine ici. C'est toute la majesté et la puissance du Dernier Rivage.
Un spectacle à la mise en scène limpide et au noir et blanc somptueux offrant en bonus un des plus beaux baisers de l'histoire du cinéma. Un contre-jour quasi expérimental, brûlant d'intelligence et riche de signification qui témoigne du talent du chef-op et caméraman Giuseppe Rotunno. Ce futur maître du cadre et de la lumière signait ici son entrée dans la cour des grands. Il allait ensuite accompagner Luchino Visconti sur Rocco et ses Frères et Le Guépard puis un certain Federico Fellini de ses segments sur Boccace 70 et Histoires Fantastiques jusqu'à Et Vogue le Navire en passant par ses Satyricon, Roma, Amarcord, Casanovo ou La Cité des Femmes. On peut aussi ajouter à son CV le All That Jazz de Bob Fosse ou Les Aventures du Baron de Munchausen de Gilliam.
Tout ça pour insister : Le Dernier Rivage est, pour moi, un pur chef-d'oeuvre.
En refusant le spectaculaire et les scènes de destruction il s'impose pourtant comme une des expériences les plus convaincantes du grand final qui s'imposera un jour à l'humanité. Il me faudra patienter jusqu'au grandiose et terrassant Melancholia de Lars Von Trier pour ressentir ce même vertige conduisant le récit de l'absurde au tragique, du dérisoire à l'essentiel. Un parcours jusqu'au-boutiste tenu sans faillir ni faiblir jusqu'aux derniers plans. Une oeuvre incontournable de l'histoire du cinéma américain, trop souvent absentes des ouvrages de référence. Cette réédition en Blu-ray est l'occasion de découvrir ou redécouvrir cette pépite.
Alors, bonne fin du monde à toutes et tous !
- It's all over now, isn't it?
- Yes, it's all over.
Francisco,
1959
2h15
Le Blu-ray Un titre que je n'attendais plus. Autant dire que le résultat est de toute façon plus réjouissant que celui du dvd. Contraste et précision à la fête pour un rafraichissement bienvenu. Une fin du monde enfin servie dignement. L'occasion de découvrir ou redécouvrir une oeuvre majeure qui, sur le fond, n'a rien perdu de sa puissance ni de son actualité.
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