MARS EXPRESS, pépite SF
Animation
Jérémie Périn
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Après avoir été épaté par Le Sommet des Dieux de Patrick Imbert il y a trois ans, j'ai savouré une nouvelle pépite d'animation made in France.
Mars Express est un réjouissant trip SF à la Philip K. Dick ou William Gibson, interrogeant notre humanité comme celle des androïdes, sur fond d'enquête et de complot façon film noir, avec détectives privés et jeune étudiante disparue, le tout sous la coupe d'un industriel de la robotique omnipotent et d'une obscure conjuration d'actionnaires avides.
Au cœur de cet univers marchand et ultra-technologique, l'humanisme n'est plus franchement de mise, et le film prend vite des allures d'avertissement — pas forcément en défaveur de l'intelligence artificielle. Mars Express révèle ainsi une vraie profondeur en évoquant la pulsion totalitaire des concepteurs et l'assujettissement imposé à leurs créations, pourtant douées de conscience, voire de compassion. Les frontières et les repères s'effacent, et la parabole s'envole.
Assumant de glorieuses références, de Blade Runner à Ghost in the Shell, jusqu'à un final transcendantal adressant un subtil clin d'œil au 2001 de maître Kubrick, le réalisateur Jérémie Périn, également co-scénariste avec Laurent Sarfati, nous plonge dans le monde "neuf" d'une planète Mars colonisée, où humains et robots non seulement cohabitent, mais fusionnent.
Aux côtés de ces "Augmentés" est développé le concept génial des "Sauvegardés" : humains décédés dont l'esprit a été transféré dans un androïde. Contrairement au flic ressuscité de RoboCop, Carlos, le partenaire d'Aline, la détective privée menant l'enquête, n'est pas traversé de flash-backs de sa vie antérieure mais possède sa mémoire intacte. Le souvenir de l'humain qu'il était se heurte à la réalité d'une apparence qui l'éloigne irrémédiablement de ses proches : une fille et une ex-femme ayant refait leur vie. L'androïde qu'il est devenu semble avoir surmonté la violence qui l'habitait avant sa mort, un lourd passé ayant visiblement provoqué la faillite de son mariage. Ses tourments en font, au fil du métrage, le personnage le plus fascinant de la galerie.
Au fil d'une enquête qui exige toute votre attention, les différents secteurs de la cité martienne, tout comme ses diverses castes, exposent une critique sociale solide d'une société dont le bon fonctionnement repose sur une forme de cyber-esclavage. L'humain, réduit à un simple consommateur aliéné et assisté par l'intelligence artificielle et des robots limités par leurs règles de programmation. Dans cette lisse ambiance totalitaire où tous évoluent les hackers font figure de derniers gardiens de la liberté en "déplombant" les robots. L'androïde accède alors à la pleine conscience et révèle même un comportement plus compatissant que son concepteur.
Cette mécanique d'asservissement et d'élans de résistance devient le miroir de tous les combats des minorités opprimées à travers notre grande histoire. C'est là tout l'enjeu de toute bonne tranche de SF. S'appuyer sur demain pour enfoncer notre monde actuel.
Si je devais mesurer mon enthousiasme, je dirais que tout ceci pourrait tutoyer le chef-d'œuvre si un peu plus de tripes et de folie venaient bousculer la perfection plastique de l'ensemble et ces quelques lignes de dialogues explicatives ou tournures de phrases un peu scolaires, dont toutes ne sont pas doublées avec le même talent.
Pour chipoter, disons qu'un peu plus de punk dans le cyber et d'hurlant dans le métal aurait libéré tous les fauves de ce magnifique ouvrage. On n'atteint pas tout à fait ici les abysses et le spleen poétique d'un Ghost in the Shell, mais on n'en est pas très loin non plus. J'évoquais son final grandiose, mais Mars Express aligne de sacrés moments de grâce cinématographique.
Parce que, oui, j'insiste. Mars Express est somptueux.
La mise en scène est fluide et le découpage des scènes d'action virtuose. L'univers, richement détaillé, fourmille d'informations qui incitent à plusieurs visionnages.
Dégusté sur une suprême galette Blu-ray, j'ai pu me régaler de la pureté de sa ligne claire et du mariage élégant, autant que pertinent, entre 2D et 3D. Un croisement technologique qui embrasse pleinement cette idée de fusion de l'humain à la robotique. Une fusion jusqu'à la confusion, qui débouche sur l'interrogation ultime: Ainsi, doués de forme et de conscience, les robots ont-ils une âme ?
Le pari artistique ainsi réussi de Mars Express semble nous offrir la réponse.
Francisco,
2023
1h30
Le Blu-ray Haute précision sublimant le graphisme à ligne claire. L'élégance règne sur tous les plans.
Réal
Jérémie Périn |
Scénario
Laurent Sarfati | ... | (scenario) & |
Jérémie Périn | ... | (scenario) |
Casting
Léa Drucker | ... | Aline Ruby (voice) | |
Mathieu Amalric | ... | Chris Royjacker (voice) | |
Daniel Njo Lobé | ... | Carlos Rivera (voice) | |
Marie Bouvet | ... | Roberta Williams (voice) | |
Sébastien Chassagne | ... | Inspector Simon Gordaux (voice) | |
Marthe Keller | ... | Beryl (voice) |
Tout le staff