Série - MASTER OF NONE (saison 3)
Série Drame
Aziz Ansari & Alan Yang
*****
Virage radical !
Après deux première saisons drôles et légères, ce sympathique disciple de Woody Allen qu'est Aziz Ansari s'est pris le Covid et ses confinements en pleine poire. Mais, comme les meilleurs d'entre nous, il a su en tirer profit. L'incontournable phase d'introspection à laquelle nous avons tous été soumis a révélé une nouvelle facette de ce comique irrésistible maniant plutôt habilement l'art du dialogue. Le clown, petit prince de la lose, s'est posé et poursuit dans le droit fil de la filmographie de son idole en nous dévoilant, à son tour, sa face "Bergmanienne". Ici, on se calme et on arrête de rigoler. Regarder, attendre, écouter ... et c'est beau.
Master of None Saison 3 intitulée "Moments of Love" peut être savouré comme une oeuvre autonome. Nul besoin d'avoir suivi les deux premières saisons. Allez-y directement.
Ne passez pas à côté de cette tendre et délicate chronique de la vie conjugale avec ses élans et ses moments de grâce jusqu'aux longues errances existentielles traversées par le doute, la solitude et le chagrin. Le tout avec sobriété, porté dans ses génériques par la voix divine de Jessye Norman interprétant Ravel, Debussy, Poulenc, Duparc ou Satie...
Nous partageons le quotidien de Denise et Alicia (épatantes prestations de la charismatique Lena Waithe et de l'émouvante Naomie Ackie). Des instants de vie universels dans lesquels tout le monde peut se reconnaître. Discussion et lectures au pieu, pliage de linge, soirées entre amis, découpées en savants plans-fixes au coeur desquels les acteurs peuvent alors laisser s'épancher leur talent. À cela s'ajoute un format carré plutôt pertinent et une patine visuelle à grain grande classe. Ambiance feutrée, atmosphère cosy. C'est un peu le meilleur du monde ciné d'avant qui revient nous bercer.
Place donc à un véritable espace de jeu et de drame ainsi qu'aux silences, à l'élégance de la lenteur, bref retour au tempo sensible de l'intelligence et de la sensibilité délivrée du bruit et de la fureur de notre époque aussi violente que profondément neuneu. Et, franchement, ça fait du bien ! Prendre le temps pour mieux l'embrasser. Laisser infuser l'émotion. l'attention n'est plus divertie mais réfléchie. Pour le cerveau comme pour le coeur on est comme en thalasso.
J'ai d'abord été intrigué puis séduit, charmé et totalement bouleversé.
La seconde partie de cette saison exceptionnelle rend un hommage appuyé à toutes ces femmes qui se lancent dans l'éprouvant parcours de la fécondation in vitro. Un véritable chemin de douleurs et de frustrations évoqué ici avec une justesse et une vérité totalement bouleversantes. Attention, point de violons ni de torrents de larmes, juste cette petite musique du coeur qui résonne longtemps encore après la vision de ces cinq délicieux épisodes.
Merci Netflix d'avoir laissé carte blanche à l'acteur, scénariste et réalisateur Aziz Ansari. En quittant le territoire confortable et ultra-balisé de la feel-good-comédie pour relever le pari, risqué, de l'intime, du minimalisme et de la délicate poésie du quotidien, ce créateur réveille en nous le parfum de l'invisible et ce sens de la gravité qui, finalement, nous fait aimer la vie avec passion.
Alors, même si les désolantes réactions des internautes et YouTubeurs aux petits pieds face à ce changement de ton laissent songeur, la frange plus éclairée et sensible des critiques devrait raisonnablement encourager Ansari à creuser ce style qui lui va à ravir. Le temps fera son oeuvre et cette troisième saison de Master of None devrait virer culte et figurer au panthéon des grandes heures de la téloche.
Quand un lutin comique, "roi du stand-up" tombe le masque et décide de ne plus nous faire rire, le petit écran devient très grand et notre plaisir immense.
Francisco,