SEULE LA TERRE EST ÉTERNELLE, lumineux crépuscule
Doc Portrait Ode à la nature Littérature
François Busnel & Adrien Soland
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Le souffle.
Le doc s'ouvre sur la respiration d'un homme revenu de mille vies. Une respiration lourde de dizaines de milliers de kilomètres parcourus à pied ou en voiture, souvent loin des villes, au coeur de la nature sauvage, de milliers de pages toujours manuscrites "pour le geste" et pour ne pas entendre "les sons électroniques" qui peuvent rendre sourd à l'âme des mots. La respiration de Jim Harrison, un des plus grands écrivains américains de ces 50 dernières années, est un poème à elle toute seule.Elle traduit cette saine fatigue d'une vie vécue jusqu'au dernier souffle.
Une vie bien remplie, grandie et nourrie au souffle des montagnes, des rivières étincelantes et des forêts profondes. Seules capables de disperser les larmes d'une inconsolable série de deuils. Une vie marquée très tôt par le tragique de l'existence. Un père et une soeur tragiquement foudroyés par un chauffard ivre roulant à contre-sens, un oeil crevé par un tesson de bouteille au cours d'une chamaillerie d'enfant qui tourne mal. Une enfance et une adolescence à la dure qui ont forgé le style Harrison. Sa littérature est aussi sensible que roborative, aussi rugueuse que profonde et s'aére au spectacle de grands espaces ouverts à une solitude originelle. Aussi rude que réparatrice. Une terre et des personnages porteurs d'une blessure fondatrice. Celle d'apartenir à une terre volée aux indiens.
Impossible de ne pas citer Dalva, personnage sublime, et le recueil Légendes d'Automne, bien sûr, mais je retiens aussi ses dernières oeuvres empreintes de toute l'ironie et la mélancolie de l'âge que sont Retour en terre ou Une odyssée américaine. Une oeuvre où la vanité et la fragilité de l'existence se dispersent au fil des rivières où il fait bon pêcher. Tout ce que j'ai lu de lui n'est qu'un constant aller-retour entre nature et civilisation. En cela Jim Harrison est profondément et viscéralement un écrivain de la frontière. Il porte en lui l'ADN de la littérature américaine. Un souffle et une inspiration dont ont hérité une foule d'auteurs comme Jim Fergus, James Galvin, Elwood Reid, Louise Erdrich, Christopher Coake et bien d'autres.
Une littérature de "poètes terriens".
Toute cette introduction pour dire que j'ai retrouvé tout cela dans cette balade que nous offre François Busnel et son complice Adrien Soland, réal de ses émissions littéraires "La Grande Librairie" et de ses savoureux "Carnets de Route".
Jim Harrison, vieux, cassé mais toujours "Général" d'une armée de poètes, se raconte, à son rythme. Dans son bureau face à ce mur "vierge" sur lequel il projette "les images" de ses romans, au volant de sa voiture ou embarqué pour une partie de pêche sur la Yellowstone River. Peu de "mise en scène" mais des instants de vie et confidences saisies au vol. Une technique de cinéma-vérité sur lesquels viennent se poser des plages contemplatives à l'esthétique délibérément cinématographique. À l'image de toute l'oeuvre d'Harrison, l'espace commande ici.
Busnel et Soland ont su accompagner les pas de l'homme tout en s'effaçant.
Ils laissent ainsi parler ce qui nourrit l'inspiration de cet immense écrivain-poète : la nature. Une nature somptueuse et glorieusement indifférente à notre agitation hystérique et "nous lavant de nos imbécilités".
La BO, conviant du solide, du rocailleux, du routard et de l'historique genre Steve Seasick, Janis Joplin, Townes Van Zandt ou Willy Nelson, profite aussi des compositions guitaristes particulièrement trippantes de Mathias Malzieu.
Ainsi se déroule ce doc libre et rêveur. La voix "d'arbre centenaire" d'Harrison, les plaines, vertes collines et saillies rocheuses défilant en langoureux travellings et le tout arrosé de blues et de folk inspirés. L'hypnose alors est totale.
À ce spectacle admirable d'une amérique filmé en scope 2.22 (on croise les doigts pour une sortie Blu-ray) répondent les gros plans sur le visage de Jim Harrison. Autre paysage ridé et creusé de toutes ses expériences rencontres et personnages. Un visage marqué par toutes les épreuves d'une existence pleine et entière. Celle d'un ogre de vie, fumant, buvant et dévorant jusqu'à l'ivresse tout ce que cette terre éternelle offre aux amoureux de son corps immense et sauvage. Et la mort?
Aucune importance, "ça arrive à tout le monde".
Grande leçon de vie d'un homme au soir de sa vie.
Francisco,
2019
1h55
Un Blu-ray serait le bienvenu !
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