ARIZONA DREAM, suivez le flétan du Groenland
Déjante poétique
Emir Kusturica
****
Pur nostalgique-trip.
Les opés Blu-ray à pas cher servent à ça. Se retrouver avec entre les mains un petit morceau de sa propre jeunesse (Je ne l'avais pas revu depuis ma séance ciné, il y a ... 29 ans) Pas un chef-d'oeuvre mais un songe cinématographique, bordélique, bourré de charme et souvent emballant.
Un vrai cinoche de dingues et de rêveurs traçant sa route loin des grands axes. Une fable sur le refus de devenir adulte, la quête de l'inaccessible ailleurs, autant qu'une ode aux Misfits du rêve américain. D'ailleurs, ça démarre les deux pieds dans le rêve.
Le rêve esquimau d'un papa sauvé par ses chiens de traineau.
Le rêve d'un retour au bercail. Une aspiration à la chaleur du foyer. Un rêve d'orphelin. Le rêveur c'est Axel (un Johnny Depp en pleine éclosion, un Peter-Pan du cinéma américain fraichement échappé de Cry-Baby et Edward aux Mains d'Argent) Le jeune homme a un job sympa de contemplatif. Il compte les poissons dans la rade de New-York.
Mais, rapidement, dans les pas d'un Vincent Gallo hilarant en fan de De-Niro et Pacino, le destin l'embarque au fin fond de l'Arizona. Dans une bourgade paumée où son oncle Leo Sweetie (délicieux Jerry Lewis) s'apprête à se remarier avec une jeunette en espérant refiler à Axel la succession de sa concession automobile. Ce qui n'est pas forcément une bonne affaire. Leo vend des Cadillac au moment où l'objet phare du rêve américain ne cesse de rétrécir. Alors l'ancien pote de Dean Martin se console en rêvant qu'il les empilent jusqu'à la lune...
Dans Arizona Dream, tout le monde est en deuil.
C'est une lettre d'amour à tout ce que l'on aimait et qui s'est envolé.
Vieillir, tout un art.
Le film prend ensuite racine lorsque le jeune rêveur croise le chemin d'Elaine et Grace. Une femme mûre et sa belle fille incarnées, s'il vous plait, par Faye Dunaway et Lili Taylor.
Une actrice de légende, symbole du nouvel hollywood (Bonnie & Clyde, L'Affaire Thomas Crown, Chinatown) et une future étoile du cinéma indé (Short Cuts, The Addiction, Cold Fever, I Shot Andy Warhol) Un tandem ô combien électrique que cette femme mûre et sa belle-fille.
En hébergeant l'irrésistible Johnny Depp le tout va rapidement taper dans le dysfonctionnel à haut-risque. Une famille où les aspirations de chacun vont s'embrasser, se heurter, exploser, s'envoler, s'écraser et composer l'équivalent sentimental d'un concert Hardcore Metal chaotique à souhait.
Pleurs, rires, étreintes, instants de grâce et hurlements ... Les coeurs se déchirent. On s'aime à mourir. Le fantôme de Tennessee Williams se marre dans un coin.
Forcément, avec une distribution pareille, il y a de grands moments d'alchimie. Mais avec un son scénario à la bride bien relâchée, démarrant en fanfare avant de se prendre un peu les pieds dans le désert, on se fait parfois un peu chier aussi.
Qu'importe, la musique de Goran Bergovic et la voix d'Iggy Pop emballe royalement le tout. En présence de tous ces géants même l'ennui nous berce. Comme tous les films ovnis, il a traversé le temps sans trop souffrir.
La mise en scène de Kusturica est généreuse et souvent virtuose. Comme tous les grands films un peu bancals ou malades Arizona Dream navigue sans boussole et dans toutes les eaux. C'est une oeuvre furieusement vivante, drôle et tragique à la fois. À sa poésie manque le souffle épique du Temps des Gitans mais elle n'a pas de mal à trouver sa place dans la filmographie de cet ogre de cinéma.
Les personnages sont bien là.
Les personnages sont le film.
Difficile d'oublier Jerry Lewis en Santiags et caleçon, Vincent Gallo, désopilant dans son imitation de Cary Grant dans La Mort au Trousse ou Lili Taylor déambulant, accordéon aux bretelles, dans cette merveilleuse "maison de fous"'.
Et puis, un film qui nous invite à suivre la course d'un flétan du Groenland dans une rue déserte échappée d'un tableau d'Edward Hopper reste forcément une invitation au voyage à laquelle il est difficile de résister.
Le rêve d'un film qui se rêve.
Quitte à s'égarer.
Courage poétique.
Francisco,
Édition Blu-ray 4K 17/07/2024
1993
2H20
LE BLU-RAY Nouveau transfert, mastering 4K. Pas encore testé mais on imagine qu'il fera aisément oublier une première édition conçue aux origines du Blu-ray et offrant une image sans grand relief, hormis une définition supérieure au dvd.
Director:
Emir KusturicaWriters:
David Atkins (story), Emir Kusturica (story) |1 more credit »Stars:
Johnny Depp, Jerry Lewis, Faye Dunaway |See full cast & crew »
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