ANSELM : LE BRUIT DU TEMPS, passé en flammes
Documentaire Portrait Songe
Wim Wenders
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Je peux dire que j'ai vécu en découvrant Anselm : le Bruit du Temps une pure extase visuelle et sensorielle. Je suis entré en hypnose à naviguer dans l'univers gigantesque de l'artiste Anselm Keifer porté par la mise en scène aérienne du réalisateur de Paris, Texas.
Anselm Kiefer par Wenders c'est la rencontre de deux immenses artistes allemands qui tous deux, au cours de leur carrière, ont interrogé l'âme et la mémoire de leur pays.
Les deux hommes se côtoient et s'apprécient depuis trente ans. Cette rencontre cinématographique est un sommet. Ces deux créateurs mèlent ici leurs univers à ce moment de la vie où chacun est à l'apogée de son art.
Kiefer aurait bien voulu s'essayer à la réalisation et Wenders s'est souvent rêvé peintre. Le mariage des formes est ici absolu.
Anselm : le Bruit du Temps est le portrait d'un artiste par un artiste.
Dans la lumière du Gard en été, côté jardin, une caméra en lévitation (le film a été tourné en 3D) caresse les femmes-mondes du plasticien. Nous sommes sur le monumental domaine de l'artiste à Barjac. Puis, nous franchissons les murs de son immense entrepôt parisien de 35 000 mètres carrés où sommeillent oeuvres du passé et travaux inachevés. Tout un monde. Une ville intérieure.
À vélo l'homme parcourt son oeuvre avant de se mettre au travail, passant au lance-flamme tous les gravats, matières végétales ou organiques habillant ses fresques monumentales. Dans le souffle du feu résonne ce bruit du temps qui consume toute matière et mémoire. Une action de destruction par laquelle s'accomplit la résurrection artistique.
Le temps, aléatoire, fait surgir les archives du passé.
Wenders revient sur l'artiste provocateur qui, à la fin des années soixante, n'hésita pas à se faire prendre en photo adressant le salut nazi au coeur des plus grandes villes d'Europe. Une manière forte de confronter notre regard et notre conscience à ce passé hideux que nos livres d'histoire ont souvent réduit à quelques paragraphes. Horreur de l'histoire née de cette volonté de puissance qui interroge notre conscience. Une forme de radicalité et de courage artistique qui a débouché souvent sur un malentendu. Anselm Kiefer fut traité de fasciste par certains de ses confrères.
Wenders embrasse toutes ces failles et tous ces paradoxes en exposant et mettant en lumière tout cela sans jamais imposer son avis. Un peu comme ses anges survolant Berlin dans Les Ailes du Désir.
Contrairement à nombre de ses documentaires, nous n'entendrons jamais sa voix ici. L'image gouverne et rien ne vient entraver l'immersion. L'art le plus pur ne s'embarrasse ni de morale ni de jugement. L'art s'éprouve sans discours et ce film est l'illustration admirable de ce positionnement rare et précieux. Celui d'un regard profondément humaniste et délivré de tout dogme.
Friches, tours, maisons, tableaux gigantesques, livres gorgés de matières, sculptures, l'empreinte du temps et ses ruines semblent toutes traduire la barbarie de l'Histoire sur la peau fragile du monde. C'est à la fois un désenchantement autant qu'un éveil.
La rude majesté de l'art d'Anselm Kiefer révèle ici toute l'universalité de son propos et la poésie est omniprésente. Dans les mots de Paul Celan, orphelin de la Shoah, sur lesquels chemine aussi l'artiste. Le génie aussi est palpable mais l'homme est loin d'être "aimable". C'est toute la force du film.
Cette rudesse sublimée épouse la partition musicale aussi solaire que ténébreuse et hantée de murmures et chuchotements du jeune compositeur Léonard Küssner. De ce mariage des arts nait un sentiment puissant. Celui d'approcher au plus près du brasier d'où naissent les oeuvres et avec lui la sensation intense et enivrante de vivre 1h30 de grand cinéma.
Anselm : le Bruit du Temps propose une séance touchée par la grâce. Même l'intrusion de la fiction par la représentation du passé de l'artiste par des acteurs, procédé qui d'habitude me fait un peu sortir du récit, est ici totalement engageant. L'artiste-enfant et le jeune homme sont incarnés respectivement par le plus jeune fils de Wenders et celui d'Anselm Kiefer, le mariage de l'artiste et du cinéaste est ainsi scellé.
Entrez dans ce grand film résilient sur l'âme, les crimes de l'histoire, la conscience et la création. C'est un de ces voyages uniques, envoûtants, et mystérieux qui font grandir.
Francisco,
Chroniques Wenders
2023
1h30
Le Blu-ray Sublime !
Directed by
Wim Wenders |
Writing Credits (in alphabetical order)
Wim Wenders |
Cast complete, awaiting verification
Anselm Kiefer | ... | Anselm | |
Daniel Kiefer | ... | Anselm (young) | |
Anton Wenders | ... | Anselm (boy) |
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