BARFLY, ivres libres
Tragi-comédie Love story imbibée
Barbet Schroeder
****
À le revoir ainsi, dans cet inespéré transfert Blu-ray, je réalise à quel point, tant sur la forme que sur le fond, Barfly est un film des années 70.
Certes, il date de la fin des années 80, mais ici, tout — de la texture et de la photographie chaude et riche en matière de Robby Müller (chef-op attitré de Wenders, qui a signé les tableaux miraculeux de Paris, Texas) jusqu’à cette manière libre et sauvage de camper, sans posture ni discours, des personnages hors morale — nous ramène à la matière de ces années fastes qui voyaient s’épanouir le talent des Scorsese, Coppola, De Palma ou Robert Altman.
D'ailleurs, Barfly aurait pu être signé Altman, tant le mélange de tendresse et de cynisme qui se dégage du portrait de ces deux naufragés évoque le cinéma du réalisateur de Nashville ou Short Cuts.
Cradingue et poétique, irrigué par une forme de mélancolie sans amertume, l'univers est fidèle à celui de son scénariste et romancier : l'ivre-poète Bukowski et son humour revenu des ténèbres. Pas de jugement ni de mélodrame ici, et encore moins de sensiblerie. C’est du pur Buko, sans larmes ni mièvreries hollywoodiennes.
On découvre ces personnages, on les accompagne un bout de chemin, puis on les laisse continuer leur vie. Ce n’est pas plus compliqué que ça, et c'est exactement ce qui fait le charme et le caractère indémodable de cette belle tranche de cinoche défendue par deux géants.
Le duo Rourke/Dunaway est somptueux, au-delà de l’alcoolisme qui habille leurs personnages. Chacun assume son chemin entre ivresse, désespoir résolu et instants de grâce. Personne ici ne cherche à échapper à son destin plombé, ni n'aspire à une quelconque rédemption. C'est d'ailleurs ce côté feel-good qui place, au-dessus de la mêlée, cet ovni qui aurait pu devenir une tragédie ou une dérive bien glauque entre les mains d’un vulgaire tâcheron.
On retrouve dans le jeu et le charisme de Faye Dunaway et Mickey Rourke cette forme d’élégance funèbre des survivants de la picole et des matins blafards. Ces losers triomphants contre le pathétique, la violence et l'absurdité de notre condition.
Ces deux existences, que plus d’un jugeraient misérables, deviennent ici deux comètes traversant sans entraves leurs nuits imbibées, fuyant les cages dorées et exposant leurs blessures. Deux ivrognes irréductibles embrassant le chaos de leurs parcours et décidant, malgré tout, de faire un bout de chemin, épaule contre épaule, pour ne pas se casser la gueule. Deux êtres qui n’ont que leur humanité en poche. Un duo qui ne fait pas dans le glamour, mais irrésistiblement irradiant et inoubliable. Deux écorchés dessinés par ce colosse de la littérature américaine à la gueule de lion cabossée dont j’ai dévoré, depuis mes années étudiantes, l’intégralité des œuvres parues en France. Parce que son verbe est sculpté directement dans le nu de la vie, au plus près de l’os.
Barbet Schroeder s’est battu comme un dingue pour que ce film voie le jour (les anecdotes savoureuses abondent dans les bonus et l’ouvrage glissé dans le Blu-ray). Mais une fois le soutien de Coppola acquis, les portes ont commencé à s’ouvrir et le projet a pris forme avec détermination, mais sans rage ni aigreur.
Schroeder accouche d’une œuvre d’une humilité déroutante.
On découvre simplement l'amoureux des mots de Buko, un auteur que le cinéaste a longtemps accompagné et enregistré au milieu des années 80 pour les Charles Bukowski Tapes, dont une partie des cinquante entretiens fut diffusée à la télévision. Une série documentaire incontournable pour les fans du bonhomme, disponible en DVD chez l'éditeur-bienfaiteur du septième art "Carlotta".
Schroeder n’adapte pas Buko, il l’adopte.
Tout comme son modèle, il plante non pas sa plume, mais sa caméra dans le réel. Au cœur des bars d’un Los Angeles aujourd’hui disparu, il met en images la balade et les dialogues épurés de l’écrivain indomptable en filmant le tout sans épate ni effet de style ampoulé. C’est carré, frontal, avec cette simplicité des grands qui laisse le champ libre au travail d’acteur. Une sacrée distribution d’anonymes, dont la plupart sont d'authentiques "mouches de bar".
Oui, dans Barfly, sous les néons du comptoir, de l'image aux sons et dialogues, tout respire l'authenticité. Tout est vivant.
Et ça c’est tout Bukowski.
C’est l’essentiel.
Francisco,
The Charles Bukowski Tapes (extrait) B. Schroeder - 1985
1987
1h40
Le Blu-ray Une édition inespérée pour une copie propre et nette, respectueuse de la texture argentique. Pas un top démo mais une belle patine pour les nostalgiques de la péloche
Directed by
Barbet Schroeder |
Writing Credits
Charles Bukowski | ... | (written by) |
Cast (in credits order) verified as complete
Mickey Rourke | ... | Henry | |
Faye Dunaway | ... | Wanda Wilcox | |
Alice Krige | ... | Tully | |
Jack Nance | ... | Detective | |
J.C. Quinn | ... | Jim | |
Frank Stallone | ... | Eddie |