L'AFFAIRE ROMAN J, juste quelqu'un de bien
Portrait Drame
Dan Gilroy
****
Retour cinoche du vrai.
L'idéal pour ceux qui sont lassés du lisse, de la guimauve ou des supers-pouvoirs. Un film sur un personnage peu aimable.
Roman est un type à la personnalité ombrageuse, solitaire, un peu autiste et réfugié sur ses convictions. Un avocat confit d'idéalisme et militant habitué à préparer les dossiers et à travailler dans l'ombre. Le scénario le propulse en pleine réalité suite au décès de son associé. Cette confrontation aux petits arrangements du prétoire et autres souplesses du "plaider coupable" vont sérieusement ébranler le quotidien de cet homme verrouillé aux tables de la loi.
L'affaire Roman J n'est ni trépidant, ni traumatisant ni même "divertissant". Non, c'est un film un minimum exigeant. L'affaire Roman dresse le fascinant portrait d'un homme confronté à ses limites puis à ses contradictions. L'enjeu repose sur l'humain. Rien que ça et tout ça. Un parcours intérieur passionnant, défendu par un travail d'acteur totalement phénoménal. Quand il ne distribue pas royalement des bourre-pifs en Equalizer Denzel Washington sait incarner des personnages gigantesques et inoubliables. Après son rôle écrasant et charismatique dans Fences Denzel Renonçe à toute séduction et disparait ici dans la peau du gras et mal fringué Roman J Israel. Le tour de force étant qu'il parvient à tirer toute l'humanité de ce personnage si mal accordé à l'existence. Cet acteur né pour incarner le respect et l'autorité n'affiche ici que fragilité et maladresses mais son personnage s'impose comme jamais.
Quand on aime savourer les grandes direction d'acteurs, ce genre de portrait est un festin. Mais forcément, ce grand film rugueux et refusant la séduction facile a fait un flop. Après l'électrisant Night Call, Dan Gilroy, scénariste et réalisateur, confirme pourtant d'une manière éclatante son statut d'auteur à part entière avec ce nouveau portrait d'un individu jusqu'au-boutiste. Certes il abandonne l'hystérie et la frénésie de son premier film et prend ici le total contrepied en nous fixant au pas lourd et lent de Roman J et à ces introspections, hésitations, dérapages et ruminations. Mais, au-delà de ce qui pourrait n'être qu'un énième portrait de loser Dan Gilroy confère à ce personnage "pathétique" une véritable "aura". Roman acquiert presque la dimension d'un Socrate New-Yorkais tant la fidélité première à ses principes finit par influencer ses collègues. C'est tout le caractère imprévisible et insaisissable de l'existence que Gilroy fait entrer dans son scénario. La vie des êtres, troublée de paradoxes innombrables.
Mais, comme le souligne cet accoucheur de conscience " l'ennemi est à l'intérieur".
Aussi le seul être capable de mettre à mal l'idéalisme et l'intégrité de Roman J c'est lui-même. Cette "'affaire Roman J" est ainsi l'histoire d'un duel sans vainqueurs. Celui d'un individu se heurtant à lui-même dans un monde que seul le pardon rend supportable.
Je n'oublierai pas Roman J. Israel.
Dan Gilroy vient de sculpter un nouveau totem au panthéon des plus grands personnages du cinéma américain. Dans la droite ligne des anti-héros des années 70. La photographie comme la BO sont là, d'ailleurs, pour souligner l'hommage à ces grandes années. Le cinéaste a juste eu le tort d'accomplir ce miracle dans une industrie et face à un public ciné nourris au spectacle "à sensation" et aux mises en scènes stupidement virevoltantes. Cette oeuvre sur l'intégrité, la faiblesse et le pardon s'est posé au mauvais moment et dans l'indifférence la plus complète. Voilà pourquoi je plaide aujourd'hui pour la réhabilitation de ce grand film ignoré.
Francisco,
Sur mesure
Chroniques Denzel
2017