EMILIA PEREZ, pour elles
Drame Musical Thriller
Jacques Audiard
****
Découvrir quelque chose d'unique.
Le plaisir que j'ai éprouvé à ouvrir 2025 (Bonne année à toutes et tous!) en rencontrant Emilia Perez repose d'abord sur cette délicieuse sensation. On tient ici une oeuvre de passionné, celle d'un cinéaste avide de nouvelles formes et cherchant à bousculer les codes de son langage. Et au final c'est bien l'art du conte que Jacques Audiard célèbre ici. Pas d'esbroufe gratuite mais une envie d'en découdre avec les normes et les frontières.
L'improbable mariage du musical au thriller embrassant la transition d'homme en femme d'un chef de cartel mexicain, figure ultra-machiste, aurait pu accoucher d'un ovni super-woke jusqu'au grotesque. Il n'en est rien.
Il faut se rappeler que les thèmes de nouvelle identité, de nouvelle vie irriguent tout le cinéma de Jacques Audiard. Après de bien tièdes et gentillettes Olympiades le réalisateur d'Un Prophète et De Battre mon Coeur... retrouve toute l'énergie et la rage saine de son cinéma viscéral tourné au plus proche des personnages.
Et ça fonctionne.
Et très souvent à plein régime.
Sans égaler l'implacable cohérence narrative des deux chefs-d'oeuvre que j'ai cité plus haut l'histoire de cette avocate accompagnant la transformation d'un criminel en une future icône de justice m'a bien baladé et ce en me faisant passer par toutes les émotions. De l'euphorie à l'agacement. Pas que du positif, donc mais qu'importe. L'ensemble ne m'a jamais laissé indifférent. Ce qui est rare et précieux. C'est aussi toute la force et la beauté de l'imperfection.
De l'éblouissement face à la virtuosité de la mise en scène et des chorégraphies alignant une série de plans-séquence d'anthologie, j'ai aussi dû surmonter parfois, je le disais, une pointe d'agacement face à quelques clichés de récit et facilités scénaristiques, notamment sur la seconde partie consacrée à la tentative de rédemption du personnage principal qui après une vie à tuer et corrompre se transforme en Mère Theresa des veuves de guerre du cartel. Après une heure de métrage éblouissante, captivante, sans cesse surprenante, la manière dont le virage s'opère caresse un peu trop le spectateur dans le sens du poil en ramenant un peu de mélo. Mais ce qui m'apparait comme une maladresse, je n'en suis qu'à ma première séance, relève peut-être du clin d'oeil au genre de la telenovela. Certains dialogues n'en sont pas très éloigné.
Même si l'emballage ne cesse d'épater, décors, musique, reconstitution du Mexique en studios totalement immersive, j'aurais adoré un développement moins "moralisateur" et plus déroutant pour que cette oeuvre, si novatrice sur la forme, accède au rang de chef-d'oeuvre. Le parcours d'Emilia, malgré l'originalité folle du matériau de base et sa première heure grandiose, reste finalement dans les clous. Jusqu'à son dernier acte, assez prévisible.
Mais filons à l'essentiel.
Le plaisir.
Le pourquoi de mon coup de coeur.
Ce qui n'a jamais faibli, m'a totalement conquis et embarqué du début à la fin c'est l'engagement absolu des deux actrices principales. Je n'en cite que deux car je n'aurais pas filé la palme à Selena Gomez qui, selon moi, peine à offrir une réelle densité et originalité au troisième personnage clé du drame.
Soyons clair. En homme brutal et flippant comme en femme assoiffée d'amour, Karla Sofia Gascón est proprement phénoménale.
Son travail sur la voix comme sur la gestuelle l'impose comme une immense actrice à suivre. Face à cette ogresse de charisme qui hisse d'emblée le métrage au-dessus du tout-venant Zoé Saldana fait mieux que résister. Elle brûle l'écran. Qu'elle balance ses répliques, chante ou danse sa grâce participe à l'enchantement cinématographique qui nimbe ce grand film imparfait. Le duo est aussi complémentaire qu'incendiaire.
Rien que pour elles et grâce à elles Emilia Perez est plus qu'un coup de frime.
C'est un film généreux et bien vivant, un de ceux qu'on oublie pas et qui trouvera une place de choix dans l'histoire du cinéma.
Matrices de cinéma par leurs seules présences, Karla Sofia Gascón et Zoé Saldana ne font rien de moins que donner la vie en offrant toute l'âme et la chair nécessaires à cet opéra violent et virtuose.
Francisco,
La conversation
Chroniques Audiard
2024
2h10
Blu-ray L'écrin idéal pour savourer au mieux l'admirable direction artistique accomplie ici. Mise en scène et photographie sublimées par un luxe de détails et textures offrant une vraie matière à une source numérique.
Directed by
Jacques Audiard |
Writing Credits
Jacques Audiard | ... | (written by) |
Thomas Bidegain | ... | (scenario collaboration) |
Léa Mysius | ... | (collaboration) & |
Nicolas Livecchi | ... | (collaboration) |
Boris Razon | ... | (novel) |
Cast (in credits order) complete, awaiting verification
Zoe Saldana | ... | Rita (as Zoe Saldaña) | |
Karla Sofía Gascón | ... | Emilia / Manitas | |
Selena Gomez | ... | Jessi | |
Adriana Paz | ... | Epifania | |
Edgar Ramírez | ... | Gustavo Brun (as Edgar Ramirez) |