THE NORTHMAN, plutôt deux fois qu'une
Film de vikings arty Revenge-movie Mystique trip
Robert Eggers
***
(première séance)
Bon, je vais commencer par vous avouer avoir roupillé dix bonnes minutes au cours du film. Ceci histoire de vous rappeler que je n'ai aucune légitimité en tant que critique. Mais il se trouve que ce petit incident en terme d'attention ne m'empêche nullement de vous livrer ma première impression à chaud concernant ce métrage que j'attendais comme le retour du messie en une période où le cinoche grand public nous prend d'abord pour des cons avides de junk-food visuelle.
La bande-annonce m'avait grave hypé et je l'avais laissée pas mal de temps sur la page d'accueil du blog. Alors bon, voilà, à l'arrivée je suis bien obligé de reconnaître que le choc n'a pas vraiment eu lieu. Le soin apporté à ce métrage impose un minimum de respect mais le premier mot qui me vient à l'esprit est "poseur".
L'expression "chaque plan est un tableau" trouve sa pleine expression ici. Parce que, oui, tout ce qui va se dérouler devant vos yeux, 2h15 durant, est sacrément beau à regarder. Hormis cette ouverture sur un océan déchaîné tout en CGI avec quelques drakkars bien baveux (pour un budget à 90 millions, ça pique un peu les yeux) le spectacle vaut le ticket. La vision d'Eggers sur le monde viking est bien là, solide et crédible. Même si, à l'ouverture toujours, quelques passages d'esclaves enchaînés, trop propres sur eux sentent un peu le cinoche, l'ensemble envoie du lourd.
La sensibilité des caméras numériques permettent de filmer à la lueur des bougies et flambeaux et Robert Eggers et son talentueux chef-op se régalent des infinies nuances entre lumière et ténèbres. La symbolique du parcours de vengeance n'a aucun mal à s'incarner. Les nuits sont profondes et menaçantes et les petits matins brumeux.
On sent bien l'aspiration à délivrer un spectacle "authentique".
The Northman se veut une immersion au plus proche de la culture viking et le sérieux qui se dégage de ce récit plein de bruit et de fureur dans les pas d'un guerrier ivre de rage manque parfois de distance pour échapper à la pesanteur. La musique martelante, sursignifiante et donc redondante n'est pas là non plus pour aérer l'ensemble et lui faire prendre un peu de hauteur. C'est efficace mais basique. Et, franchement certaines séquences de la série Vikings ou The Last Kingdom ne font pas moins "authentiques". Pour le côté "oeuvre définitive sur l'univers et la mythologie viking" comme j'ai pu le lire ou l'entendre, on repassera donc. On a même, parfois, une sensation ciné de "folklore-arty-ultra-léché". Ce n'est pas désagréable, loin de là, mais le côté viscéral en prend un coup. Quant à la lenteur qui se voudrait Tarkovskienne, joli ventre mou au coeur du film, elle m'a plus ouvert au sommeil qu'à la méditation.
Après un The Witch presque hilarant d'auteurisme et un The Lighthouse aussi fascinant et abouti visuellement que tournant légèrement à vide, je commence à partager avec moi-même ce sentiment que Robert Eggers s'affirme de plus en plus comme un brillant formaliste soucieux du détail mais n'ayant finalement pas grand chose à raconter de bien neuf. Un sentiment que seul le passage des années pourra confirmer. Je me suis souvent trompé à la première vision et les revoyures m'ont bien rappelé combien il est facile de passer complètement à côté d'une grande oeuvre. La preuve étant que les images de The Lighthouse sont toujours gravées en moi à l'heure où j'écris ces lignes. D'ailleurs à propos d'esthétisme radical, je n'aurais pas été surpris si The Northman nous avait été servi en noir et blanc et format carré.
Je ne vais pas vous spoiler l'histoire, vous la connaissez dès la bande-annonce. C'est encore un récit de vengeance qui se veut d'ampleur Shakespearienne avec le bon gros noeud traumatique du gamin assistant au meurtre de son père et à l'enlèvement de sa mère, échappant à ses ravisseurs et revenant grand et fort pour venger son monde. Ça, c'est pour le côté "Conan le Barbare". L'ampleur tragique-antique de la chose étant que le héros s'appelle Amlet et que meurtrier n'est autre que le tonton de la famille. Ça c'est pour le côté drame Shakespearien.
S'impose également une claire filiation avec le Valhalla Rising de Refn pour la tentative de nous offrir une oeuvre singulière et ovniesque. Sauf que l'aspect ultra appliqué de la mise en scène ne délivre aucune folie contrairement à l'oeuvre authentiquement barrée du réalisateur de The Neon Demon. Pas de quoi vous retourner le cerveau sur le fond. Certaines séquences m'ont même fait sourire. Je me demandais parfois si tout cela n'était pas... un peu con (final compris).
Par contre, concernant les généreux plans-séquences de carnages et joyeuses étripailles, rien à dire. On en prend plein la gueule avec ravissement. Pour le côté barbare on a de quoi jouir sans entraves. Alexander Skarsgard, éructant et bodybuildé façon solution finale, calme tout le monde sans problème. Maousse prestation d'un acteur se donnant à fond. Pour le reste, Eggers retrouve, après The Witch, Ana Taylor Joy qui, malgré son visage magnétique, ne délivre toujours pas une gamme de jeu délirante. Willem Dafoe, en revanche, après The Lighthouse revient jouer les allumés de service avec bonheur. Quant à Nicole Kidman, parce qu'il faut bien en parler, je voudrais encore supplier les grandes actrices de plus de cinquante piges d'arrêter de se mettre au plastique. C'est beau et courageux de vieillir ! Les rides sont la dentelle de nos tourments ! et puis, du coup, expliquez-moi comment interpréter correctement un personnage du Xéme siècle avec l'apparence d'une égérie du salon du Botox? Franchement, Nicole, ça m'a un poil sorti du film...
Conclusion, je suis peut-être passé à côté d'un chef-d'oeuvre.
Soit, mais The Northman a pour moi un côté trop "fabriqué" pour me conduire au Valhalla. Alors, oui, vu le plus que louable effort de mise en scène, l'extrême beauté graphique du voyage et mon amour pour les scènes d'actions riches en viande, je m'achèterai le film en blu-ray. Les films de vikings, hors série Z, sont suffisamment rares pour être collectionnés. Promis, je peaufinerai cette chronique si la revoyure a figure de révélation. Les fans du film tiendront alors leur vengeance et je saurai me flageller bien comme il faut. C'est juste l'avis à chaud reçu tièdement d'un truc que j'aurais souhaité bouillant.
Francisco,
La deuxième séance, donc...
****
Bon alors, c'est comment la revoyure en Blu-ray, quelques mois plus tard ?!!??
Ben là, chers lectrices et lecteurs bien-aimés, je me sens obligé de me flageller un petit peu. Même assez fort par moments.
À le revoir tout beau, avec cette somptueuse image HD bien détaillée je me suis quand même repris la sublime direction artistique en pleine poire. Décors, costumes, paysages, atmosphères... Je me suis retrouvé souvent en complète immersion. Il est beau, l'univers. Même si c'est probablement cette obsession d'une "illusoire" exactitude historique (peu de traces écrites sur cette fascinante et mystérieuse culture viking) que l'on devine à chaque plan qui à sans doute contribué à pontifier l'ensemble et freiner l'accès au rang de chef-d'oeuvre.
Mais bon, voilà. Avec un steelbook qui rend vraiment bien sur l'étagère et moins d'attente sur le plan narratif que lors de la découverte en salles, force m'est d'admettre que l'objet nous régale de sacrés moments de cinoche. Les plans-séquences restent bluffants de fluidité et précision. L'assaut sur le village par notre Amleth devenu guerrier enragé cloue au canapé. Nous sommes là dans la virtuosité. Pas loin de la phénoménale attaque d'indiens à l'ouverture de The Revenant.
Les points qui continuent de grincer un peu pour moi restent le scénario comme les dialogues. Certaines tirades font parfois sourire en tapant trop dans le grave, le rocailleux et le guttural. Why so serious? Une once de second degré et deux trois poils d'humour viking auraient déridé le spectacle et totalement libéré le souffle épique. (citons Braveheart, savant dosage de viscéralité et d'Hollywooderie et surtout Apocalypto, savant dosage de viscéralité et de... viscéralité. Ouais, Mel Gibson est définitivement un cinéaste génial et un des plus grands peintres de la violence)
Au final, je salue encore une fois l'ambition et l'exigence au service de l'aventure. Robert Eggers a indéniablement du style et une belle fringale de cinoche. Il faut juste qu'il se détende un peu, histoire d'aérer le génie que j'ai clairement entendu gratter derrière plusieurs séquences lors de cette agréable seconde séance.
Rendez-vous dans dix ans, pour savoir si l'oeuvre a continué de grimper. Je ne tarderai pas à revoir The Lighthouse, histoire de m'humilier un peu plus. Parce que je n'arrête pas de me dire que je suis, là aussi, passé à côté d'un grand truc.
2022
2h15
Le Blu-ray C'est hyper beau. Top démo. Je n'ai même pas les mots pour évoquer le niveau de détail et la sublime palette chromatique. Formellement parlant, sur ce point pas de polémique, c'est un putain de chef-d'oeuvre.
A découvrir aussi
- LAWRENCE D'ARABIE, épique restauration
- 13 ASSASSINS, suivez la voie du sabre
- EXODUS : GODS AND KINGS, toiles de maître