UNE PLUIE SANS FIN, le temps est assassin
Serial polar contemplatif
Yue Dong
****
Est-on obligé de se faire un peu chier lorsque l'on est cinévore?
Je le crois. Histoire de grandir un peu. On ne peut pas passer sa vie à se Marveliser ou Mission-Impossibler la tête quand on a un minimum d'ambition. Les conséquences peuvent être dévastatrices pour l'esprit critique. Il faut parfois se poser et laisser doucement infuser un lent polar chinois. Un cinéma au plus proche de l'âme. Parce que l'on a aussi besoin de silence et d'attente. Ce délicieux sentiment d'imminence qui dure et ne se libère qu'à la fin. ( J'en vois certains qui sortent ... mais attendez, j'suis sérieux là)
Si l'humour macabre et la folie furieuse des cathédrales du polar coréen qui de Memories of Murder ou Old Boy en passant par The Chaser et J'ai Rencontré le Diable, m'ont cloués au canapé, le ventre noué mais le sourire au lèvres, la profonde mélancolie qui habille la langueur des polars chinois fait battre également mon coeur de cinéphage.
Même un poil assoupit, j'ai succombé aux nuances infinies d'une photographie voluptueusement désaturée ainsi qu'à la perfection maniaque du découpage de chaque séquence. Pour son premier film Yue Dong affirme une sacré maitrise de l'art. Après plusieurs années comme chef-op son expérience délivre une succession de tableaux aussi sobres que fascinants. On peut parler de tableaux parce que les cadres fixes sont nombreux et soutiennent cette sensation d'imminence du déclin, ce calme d'avant la tempête qui hante tous les personnages. Cette fameuse langueur nous chuchote les drames à venir. Même les travellings et plans séquences, d'une rigueur quasi-militaire, n'incitent pas à l'envol.
Dans un tel climat, la formule "c'est beau mais c'est chiant"pourrait facilement nous échapper mais pour un premier film la maitrise visuelle impose le respect. Rapidement, le charme fini par agir. À l'image de l'étrange et fascinant Black Coal, Cette Pluie sans fin s'écoule avec la suprême élégance des grands films d'atmosphère.
Donc, on ne va pas se mentir, ce n'est pas un thriller trépidant. Sauf pour les mordus du "cinéma d'auteur". Ce serait vraiment méchant et pas drôle du tout de vous le faire croire. Le rythme est quasi Tarkovskien. Si vous avez mal pioncé la veille et que vous rentrez d'une vraie journée de boulot vous n'irez pas au bout d'une seule traite. Vous piquerez rapidement du nez et ne percevrez que par fragments les splendeurs de ce grand polar dépressif. Et, franchement, ce serait dommage.
Donc, profitez d'une soirée où vous vous sentirez l'esprit frais, dispo et patient et, alors seulement, vous succomberez à l'hypnose de ce lent récit d'obsession sur le théâtre d'un monde au bord de l'abime, celle d'une Chine à l'orée d'un futur improbable. Avec, en permanence, ce voile délicat de fantastique qui instaure la grande notion du Doute Fondamental. Aussi, lorsque je vous prévenais un peu plus haut, que le versant polar et traque d'un serial-killer n'est ici qu'un prétexte vous aurez compris que je ne blague pas.
Une Pluie sans Fin est une parabole nihiliste, l'allégorie d'une faillite sociale, un univers de faux-semblants, celui d'un monde hors contrôle où l'homme ne cesse de perdre le pouvoir et où l'amour s'exploite comme le reste. S'y éteint une sombre galerie de personnages écrasés, incarnés par des comédiens jouant le tragique sans retenue, dans une ville en déclin où les cheminées de l'usine exhalent leurs dernières fumées, à l'image du personnage principal fumant comme un pompier.
J'ai d'ailleurs éprouvé beaucoup de plaisir à retrouver un personnage fumant comme un pompier. Parce que dans le cauchemar totalitaire de notre époque hygiéniste, proprette, gentillette si oppressante nous avons un peu oublié que fumer fait sens. Et que le polar est justement un genre où il fait bon fumer. Parce qu'on le sait, fumer tue. C'est comme vivre longtemps. Bon, tout ça pour dire que cloper dessine la digne représentation de cette lente et inexorable combustion des êtres, englués dans la boue d'un monde en totale déliquescence.
Francisco,
2017
2H
Le Blu-ray Nickel. Top démo. La précision chirurgicale d'une image numérique dépourvue de tout grain. Une image lisse qui dégage, malgré tout, une riche matière grâce à sa photographie somptueusement désaturée. Des nuances d'ocre et de gris du meilleur goût pour savourer l'atmosphère lourde et pluvieuse de pré-apocalypse qui baigne ce chant funèbre. Ne vous endormez pas parce que, visuellement, l'expérience est clairement au rendez-vous.
Director:
Yue DongWriter:
Yue Dong (screenplay)
Stars:
Yihong Duan, Yiyan Jiang, Yuan Du |
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