PEARL, l'effet A24
Horreur Gore Mélo déviant
Ti West
****
Ce n'est pas le scénario qui vous la fera à l'envers.
Une jeune fille de la campagne aux rêves de gloire bridés par l'univers "ferme et handicap" de son sinistre foyer développe, dans ses frustrations et rages accumulées, de sévères pulsions meurtrières. C'est le principe d'un bon film d'horreur. Une trame basique qui ne freinera jamais votre compréhension du carnage à venir. Non, ce qui saisit et épate tout du long ici, c'est l'art et la manière. Celui du décalage absolu dans le ton et le style. Ti West pervertit avec une gourmandise et un sens du macabre irrésistible aussi bien les codes du mélo à l'ancienne que ceux du slasher. Et ça fonctionne à donf.
Bref, c'est ignoble, horrible mais ça fait un bien fou.
Explications.
En fait, c'est arrivé comme ça.
Je surfais tranquillou sur les nouveautés du catalogue Netflix hier soir et je suis tombé là-dessus. Eh bien, 1h40 plus tard, je me suis dit que le hasard faisait vraiment bien les choses.
En me réveillant ce matin, je sentais que cette jubilatoire découverte enclenchait dans mon esprit en vacances un phénomène de pré-chroniction, lequel embraye fatalement vers du chroniquage. Et parce que chroniquage rime aussi avec partage, le plaisir d'offrir lorsque l'on aborde le genre du cinéma d'horreur est une valeur première de cet art qui éclabousse. Et en plus, parce qu'il faut bien rester en prise avec la vraie vie et ses priorités, ce film est en lien avec l'actualité ciné du mois. Mais ça, vous le lirez un peu plus bas. Parce que chaque effort mérite récompense.
Allez, assez digressé.
Revenons à hier soir. Ça commence avec un quinquagénaire hyper détendu dans son canapé avec son jack-russell ronflant à côté de lui et qui se promène sur Netflix.
L'affiche du film me parle immédiatement puisque j'ai déjà repéré la bouille étrange et magnétique de la jeune actrice et scénariste Mia Goth dans le non moins étrange et magnétique A Cure For Life et dans le remake de Suspiria (qui vaut le détour, contrairement à ce que prétendent les fans hard-core de Dario Argento qui l'ont atomisé).
Et puis, l'apparition du logo A24 au lancement du film me fait dire que je vais forcément assister à une vraie proposition de cinéaste sur le fond comme dans le ton et le style.
Là, il faut poser un peu le contexte.
Je crois bien que j'ai apprécié 90% de ce qui est sorti de chez ce distributeur, passé à la production en 2016 avec Moonlight. A24, moult fois cité dans mes chroniques, fait partie des derniers distributeurs-producteurs-bienfaiteurs du cinéma indépendant américain. Leur credo : nous proposer du neuf et du caractère. Des univers et des visions où l'art du hors-piste règne en maître.
Cîtons immédiatement une jolie palanquée de titres sortis de chez eux, tous genres confondus, histoire de vous donner la mesure du miracle : Moonlight donc, mais plus récemment Love Lies Bleeding, La Zone d’Intérêt, Dream Scenario, Past Lives, Beau is Afraid, Aftersun, Everything Everywhere All at Once, The Tragedy of Macbeth, Lamb, The Green Knight, Saint Maud, First Cow, Waves, The Lighthouse, Midsommar, Under the Silver Lake, Climax, Une Prière avant l’Aube, Hereditary, First Reformed, Good Time, A Ghost Story, American Honey, The Lobster, Ex Machina, etc.
Ce qui vous saute tout de suite aux yeux, chère lectrice et cher lecteur fidèles, c'est que la quasi-totalité de cette liste est chroniquée sur ce blog. Car, tout comme toi, j'adore être surpris, charmé, baladé, bousculé, dérangé, flippé, bref, vivre une vraie expérience de cinoche jusqu'à suivre un cinéaste dans ses trips les plus barrés. Et ça, c'est toute la philosophie d'A24. Cette maison est un temple. Il est sacré pour tous les cinéphiles et cinévores amoureux du cinéma US lorsqu'il fugue avec poésie mais aussi quand il hurle et se déchaîne. Avec Pearl, on est en plein dedans.
Je ne vais pas m'étendre car je ne veux pas trop vous spoiler le plaisir.
Disons, pour vous donner l'esprit de cet ovni, que Pearl ressemble à ce que pourrait être un film d'horreur réalisé par Douglas Sirk, le pape du mélo en technicolor des années 50. Délicieusement kitsch et rétro avec cette bande sonore à l'ancienne sur un récit de folie furieuse lorgnant aussi bien du côté de Psychose que de Massacre à la tronçonneuse version hache ou fourche.
Mais tout cela resterait finalement anecdotique sans la prestation de la co-scénariste et actrice Mia Goth. Elle est tout simplement phénoménale ! Aussi drôle que terrifiante. Et souvent les deux en même temps. Son visage d'éternelle ado (l'actrice approche la trentaine) offre une gamme de jeu et de sentiments qui constituent les plus beaux effets du film. Et le clou du spectacle, c'est son long monologue final, face à une "amie" totalement tétanisée. Après un début de séquence en traditionnel champ-contrechamp, le montage bascule sur 5 minutes de plan fixe sur son seul visage et un dialogue aux petits oignons dévoilant les racines du mal qui l'habite et l'ampleur de la folie qui la ronge. Rien que ce choix de mise en scène révèle aussi bien le génie de l'actrice que celui de son metteur en scène.
Ti West, réal ayant fait ses armes sur quelques séries télé, nous offre donc ici, au scénario comme à la réalisation, le préquel de X, autre déclinaison tournée et sortie également en 2022, dans l'esprit années 70 cette fois, de Massacre à la Tronçonneuse. Encore une douce et tendre histoire de tournage d'un film porno à la campagne, dans la grange de la maison du personnage de Pearl devenue cinquante ans plus tard une vieille dame ultra flippante et cultivant toujours ce sens de l'hospitalité bien à elle.
X et Pearl constituent donc les deux premiers volets d'une trilogie qui voit débarquer à la fin de ce beau mois de juillet pluvieux dans nos salles Maxxxine (un dernier volet dans les pas de l'unique survivante de X, jouée également par Mia Goth).
Ces deux pépites et la troisième que je vais courir voir fin juillet sont donc à découvrir d'urgence si vous goûtez au genre horrifique quand il est bien fait. Avec, en constante narrative sur les trois récits, une aspiration immature à la gloire promise par les chimères du cinéma et les rêves destructeurs qu'il génère dans les esprits fragiles. Une mise en abyme traitée avec sarcasme qui renforce encore plus l'impact émotionnel de ces contes macabres bien déjantés. Goûter à l'ivresse du septième art jusqu'à ce qu'il tourne au poison.
Merci donc à A24 d'avoir filé carte blanche à Ti West et contribué ainsi au renouveau du genre horrifique. Un genre qui était arrivé à épuisement après de laborieuses resucées de Vendredi 13 ou Halloween.
N'oublions pas qu'A24 compte également dans son vivier plusieurs artisans de l'horreur. On peut citer le génial Ari Aster qui nous a offert les cauchemars virtuoses Hereditary et Midsommar (celui-ci il faudra que j'en dise un mot un de ces jours parce que c'est vraiment un truc de dingue) et, dans une veine plus gothique et fantastique, l'esthète du format carré Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse).
Ti West, Ari Aster, Robert Eggers, voici trois jeunes réalisateurs qui ont encore, pour notre plus grande trouille, toute une vie de cinéastes devant eux pour nous glacer le sang avec talent. Aux côtés d'un Jordan Peele (Get Out, Us, Nope), ces petits génies du mal la face sombre de l'Amérique n'ont pas fini de libérer de bien jolis monstres.
Francisco,
Mia Saga
Netflixable été 2024
2022
1h40
Netflixable (juillet 2024...)
Directed by
Ti West | ... | (directed by) |
Writing Credits
Ti West | ... | (based on characters created by) |
Ti West | ... | (written by) & |
Mia Goth | ... | (written by) |
Cast (in credits order)
Mia Goth | ... | Pearl | |
David Corenswet | ... | Projectionist | |
Tandi Wright | ... | Ruth | |
Matthew Sunderland | ... | Father | |
Emma Jenkins-Purro | ... | Mitsy | |
Alistair Sewell | ... | Howard |
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